Le temps était long à la Collégiale. Insupportablement long. Sans mission ni villageois à terroriser, les journées de Touchedieu et sa bande se retrouvaient bien mornes. Il y avait un entraînement l’après midi, mais sinon quelques messes et puis c’était tout. Et ce n’était pas cette femmelette de Sébastien Garin qui allait arranger les choses. Alors du coup on s’occupait comme on pouvait en attendant que l’Oracle donne sa Divine Permission. Le Second travaillait sur ses papiers. Louis couchait avec l’Europe du Château. Et les autres inquisiteurs se lançaient dans des concours plus ou moins stupides, plus ou moins lucratifs.
A ce moment précis, Gabriel Touchedieu était en train de faire un concours de bras-de-fer avec un inquisiteur quarante ans plus jeune que lui. Et il ne démordait pas. Torses nus, les avant bras des deux inquisiteurs semblaient immobilisés dans l’espace comme si le temps arrêtait sa course. De légers tremblements parcouraient l’ensemble c’était le seul signe qui indiquait que le Gourdin et son challenger forcaient. Gabriel semblait parfaitement détendu, sa barbe tressaillait de temps à autre, mais rien à voir par rapport à la façon dont le visage du petit jeune se crispait. Les deux bras étaient toujours immobilisés en apesanteur mais le jeune virait au rouge, au violet même. Le visage du Gourdin se couvrait tout juste d’un léger voile de sueur.
Le jeune craqua le premier et le dos de sa main heurta violemment la table. Un rugissement partit du fond de la salle, où deux trois vieux étaient rassemblés, repris par d’autre ensuites. Malgré son âge, Gabriel Touchedieu restait un modèle pour tous les hommes de mains de la Collégiale par sa force, par son gueuloir, par son charisme. Il était immortel.
Deux secondes de plus et c’était moi qui perdais
Si les autres ne voyaient pas les effets de la vieillesse sur Touchedieu, lui venait tout juste de les sentir et même de les sentir très nettement. Il ne s’était jamais épuisé aussi vite lors d’une joute de bras-de-fer et c’est uniquement en jouant sur la psychologie qu’il s’en était sorti. S’il avait paru aussi désespéré que l’autre jeunot, alors ce dernier aurait repris courage et aurait trouvé la force suffisante pour lui coller la main contre la table. Et c’aurait été un désaveu aux yeux de toute la Collégiale. Maintenant Touchedieu avait mal au bras et il devrait se passer une heure ou deux avant que la douleur ne disparaisse. Il ne récupérait même plus à la même vitesse qu’avant.
Mais ca il le cacherait soigneusement. Le Gourdin était le Gourdin, il n’était plus que l’ombre de lui-même, mais son ombre suffisait à faire trembler les gens. Sa hantise désormais était qu’il y en ait un plus courageux que les autres, qui ne se laisserait pas impressionner par deux trois « petits trucs » psychologiques. Il le tuerait celui là, s’il en était capable.
Tout à son triomphe, on vint le prévenir qu’on l’attendait dehors, une visiteuse… Lorsqu’il sut que son interlocuteur était féminin, il ne chercha même pas à remettre sa chemise de toile : il alla torse nu et luisant ouvrir la Porte de la Collégiale.
L’air extérieur fouetta son torse faisant dresser ses poils. La chemise en bouchon sur l’épaule, il regarda celle qui voulait le voir. Elle dissimulait son visage sous un capuchon, c’était suspect. Par contre, le vent ouvrait sa cape sur un décolleté qui faisait tout oublier. Une belle paire comme celle-là ne se refusait pas… mais peut être n’était ce pas ce la qu’elle était venu chercher…
Boah après on verra bien si elle résiste à mon charisme animal. (rire)
Il ne croyait qu’à moitié à cela. Cela faisait dix ou vingt ans que ca ne lui était plus arrivé. Son charisme avait été remplacé par son argent. Et oui c’était comme ca, triste fin pour un vieux chien. En attendant le Gourdin lanca par-dessus son épaule à l’attention des autres derrières :
« Hé hé, vous avez vu le trophée du vainqueur ? »
Il appuya son épaule contre le chambranle de la porte, toujours torse nu et dit :
« Alors ma belle on vient pour quoi ? »