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| Pur intérêt teinté de compassion | |
| Auteur | Message |
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Inquisiteur Général
| Sujet: Pur intérêt teinté de compassion Jeu 5 Aoû 2010 - 17:51 | |
| Mattea traversait les couloirs de la Collégiale sans faire de bruit. Son pas ordinairement vif et bruyant, qui annonçait sa présence avec plus d'efficacité qu'un domestique, s'était fait plus tempéré. Elle voulait voir le Gourdin, alors même qu'elle savait que le Second avait interdit à tous les Inquisiteurs d'approcher le vieux brigand. Dès lors, il était hors de question de se faire remarquer et d'avoir à justifier sa présence. Elle n'avait pas peur de devoir s'expliquer face à un autre inquisiteur, mais elle jugeait les conséquences d'une rencontre fortuite avec quelqu'un comme Louis Institoris particulièrement désastreuses. Oh, ce serait une histoire d'autorité, et elle n'avait pas peur d'utiliser son blanc-seing, mais elle trouvait ridicule d'en faire usage pour... si peu. Les raisons qui la poussaient à aller voir Gabriel Touchedieu n'étaient pas la revanche ou l'envie de se moquer, encore moins la haine. Elle le savait haï par la moitié du comté : elle se souvenait plutôt d'un homme trop brutal pour se servir de son cerveau. Non... si elle voulait voir Touchedieu, c'était pour lui soutirer des informations sur les sorcières de Forbach. Du peu qu'elle en avait vu, elle savait qu'il était quelqu'un à qui on ne la faisait pas. Et elle ne doutait pas un instant qu'au vu de son gabarit, il avait assimilé bon nombre d'informations. Il devait savoir des choses sur les sorcières, des choses qu'elle ne savait pas et qu'elle avait besoin de savoir. Elle voulait apprendre un maximum d'éléments compromettants sur Olrun et connaître les personnes fortement soupçonnées par Touchedieu, parce qu'il y avait forcément du vrai dans ses hypothèses. Elle n'avait pas grand-chose à lui proposer en échange, si ce n'est la continuité du travail. Connaissant le bonhomme, il ne servait à rien de lui promettre de prier pour son âme. Mais elle comptait sur un absurde sentiment d'utilité avant la fin. Si Touchedieu pouvait se sentir important avant de mourir, peut-être qu'il parlerait sans trop se faire supplier. Elle se fichait de ce qu'il penserait d'elle : il était à quelques heures de la corde. Quand elle parvint aux cachots, comme prévu, un geôlier eut la prétention de vouloir la faire reculer. Ce fut un échec sur toute la ligne : adoptant un ton autoritaire et arguant sans accepter de réplique qu'elle devait prier avec Gabriel Touchedieu, Mattea finit par être introduite dans sa cellule. Une fois dans l'ombre noire qui enveloppait l'endroit, Mattea chercha des yeux le prisonnier, qu'elle trouva assis dans une position étrangement détendue, contre le mur droit du cachot. Étonnée, car elle s'était attendue à trouver un Touchedieu écumant de rage, faisant les cent pas dans son ultime prison en attendant une occasion pour s'échapper, elle s'approcha et comprit qu'il ne relèverait pas le regard vers elle. Lentement, sans se presser, elle s'agenouilla face à lui, dans la paille pourrie, sans s'embarrasser de plus de convenances. Démoralisé n'était pas le mot : Touchedieu semblait incroyablement indifférent. Alors que la mort s'approchait de lui à grands pas, il demeurait stoïque et... sans peur ? - Bonjour, monsieur Touchedieu. Le ton de Mattea se voulait un peu plus doux : il ne fut que normal. Sans perdre ses objectifs de vue, elle se présenta : - J'espère que vous me remettez, j'étais à l'auberge de la Croix-Rousse. Ma visite doit vous paraître surprenante, je sais. Contrairement à ce que vous allez penser, je ne suis pas là pour me moquer, ni pour tenter quoi que ce soit. Elle faisait allusion à une conversion de dernière minute ou une confession – qu'elle n'était pas en droit de faire, d'ailleurs. Du ton le plus sérieux qu'elle put trouver, elle chercha son regard et continua, le contenu contrastant férocement avec le ton : - Je suis venue vous demander de l'aide. Voilà qui était une bien étrange parole dans la bouche de Mattea. En fait, ça devait être la première fois de son existence qu'elle prononçait pareille absurdité. Elle-même ne s'expliquait pas l'humilité de la demande, mais elle avait été touchée plus qu'elle ne le pensait par la vue du vieux complètement misérable, mais encore sain d'esprit, comme le prouvait son attitude exceptionnellement sereine. - Vous allez mourir dans quelques heures, monsieur Touchedieu. Et vous êtes le chasseur de sorcières de Forbach. Vous savez certainement beaucoup de choses. Je suis venue entendre tout ce que vous savez sur les sorcières, pour que l'importance de ces informations ne se perde pas. C'était bien le problème avec Mattea : elle n'envisageait pas qu'on puisse lui dire non. Dans sa démarche, elle savait qu'elle devrait probablement négocier, mais elle ne doutait pas de parvenir à ses fins, et cela se répercutait jusque dans sa façon de demander les choses. |
| | | Mort(e)
| Sujet: Re: Pur intérêt teinté de compassion Lun 9 Aoû 2010 - 19:22 | |
| C’était il y a tellement longtemps… vingt ans, un tiers de sa vie. Il y a vingt ans, il était dehors, il respirait la fureur de vivre, il était jeune et invincible, la mort n’existait pas pour des hommes comme lui. Il y a dix ans, il était asservi chez l’inquisition, avait quelque part prit une pré-retraite chez elle, mais il était encore terrible et on avait peur de lui, malgré ses cheveux et sa barbe qui blanchissait vite. Il y a moins d’un mois, alors que ses rides et sa toison blanche étaient évidentes, on continuait de dire son nom avec effroi, et l’on craignait ses apparitions. Il y a un mois, il se sentait sur le déclin, mais de l’extérieur on sentait encore qu’il était invincible.
A partir du moment où ils avaient trouvés le corps du Gourdin inanimé à côté de celui du garde du corps de l’Oracle, les rats avaient soudainement pris courage et l’avaient jetés ici. A partir de ce moment, son âge et son corps étaient venus présenter leur lourde ardoise : il avait fondu puis décrépit dans ce cachot. La vieillesse s’était conduit avec lui comme un créancier : elle avait attendu longtemps ses avoirs, elle lui avait tout pris à partir du moment où sa faillite était évidente.
Soixante ans, peu de gens vivaient aussi longtemps, encore plus lorsqu’ils étaient comme Touchedieu. Plus d’un demi-siècle passé à se frayer son chemin avec sa massue… pour finir comme il aurait dû finir il y a trente ou quarante ans : emprisonné puis pendu. Quel progrès, toute une vie juste pour repousser cette échéance à laquelle on voulait le destiner depuis qu’il avait seize ans. La plupart des gens de Forbach n’étaient même pas nés qu’on le poursuivait déjà. Soixante ans… il avait vécu plus longtemps qu’aucun brigand avant lui et très certainement plus qu’aucun après lui.
Il avait vécu trop longtemps, vu ce qui allait lui arriver désormais.
Oui, il avait gueulé, il avait fait le fier, les premiers jours en cellule il était resté un peu le Gourdin, mais le Gourdin n’était déjà plus vraiment lui-même avec la perte de ses amis. Ensuite, il n’avait rien d’autre à faire que de revenir dans le passé, et songer à une scène dont il n’avait jamais trouvé d’explications.
Il avait juste conscience d’une présence. Une présence qui dépassait et écrasait tout. Une chaleur humaine. Dieu.
C’était la fin, c’était le début, c’était pire que tout, c’était mieux que tout. C’était la mère et le juge, la peur et le courage, l’humanité et l’impitoyable. C’était comme ces monts magnifiques qui vous écrasent de toute leur hauteur. C’était comme les vapeurs de l’alcool, en dix fois plus fort où vous flottez sans plus aucun souci. C’était comme les pires chaînes qui soient au monde, les chaînes de la culpabilité. C’était Dieu. Le début et la fin de toute espérance.
Aucune parole, aucun bruit dans cet endroit. Juste des sensations. Amour, un amour fort et puissant, submergea Gabriel et brisa sans pitié son cœur de brigand. Vérité, une vérité puissante s’attaqua à son esprit et balaya son cynisme et son humour noir en un coup de vent, le laissant nu. Pardon, un pardon inacceptable, un pardon brûlant comme un bûcher, un cadeau empoisonné. Aimé, accepté, pardonné. Brisé, nu, brûlé. Triple peine pour Gabriel.
Au début, il avait pensé à autre chose, il voulut se rappeler à toute force d’autres épisodes de sa jeunesse, de ses plus beaux coup de mains, des ambiances de franche camaraderie au bord des chemins, mais cette scène, cette scène là particulièrement était revenue, insistante et lancinante, jusqu’à occulter le reste de sa vie. Cette scène uniquement comme un leitmotiv involontaire, qui ne venait pas de lui, qui lui était imposée quelque part.
Pourquoi lui rappeler à toute force cet instant précis de sa vie qui n’avait rien à voir avec le reste ? Rien n’avait suivi ceci, il s’était relevé, il avait repris son gourdin et en avant… sauf qu’il avait intégré une institution chrétienne… Qu’il avait entendu parler de Dieu à toutes les sauces : bon père, terrible juge, châtieur des païennes…
Et les rêves récurrents aussi, qui avaient fait le siège de son âme, ceux où il était acteur, mais qui visiblement ne venaient pas de lui. A chaque fois le même message était délivré, mais l’inconscient de Gabriel ne l’acceptait pas, et il ne se souvenait pas vraiment du message au réveil. Cela dit même s’il refusait de comprendre, il savait cependant qui cherchait à lui parler.
Un être qu’il avait tenu à l’écart trop longtemps, une entité qui ne pouvait lui vouloir que du mal, car c’est Elle qu’invoquait ses victimes au moment où ils les tuaient :
Dieu, le punisseur des bourreaux, le vengeur des victimes.
Toute sa vie, Gabriel avait échappé à Dieu comme il avait échappé à l’Armée et aux Milices. Dieu était du côté des martyrs, c’était connu, et les officiers invoquaient à chaque fois l’aide du Seigneur lorsqu’il tentait de tuer le Démon qu’était Gabriel, les survivants le maudissaient en lui souhaitant que Dieu le punisse. Pour se protéger de Dieu, Gabriel avait érigé un mur de cynisme et d’incroyance, disant que ce n’était qu’un vieux fou barbu en haut de sa montagne.
Ce mur était tombé il y avait vingt ans lorsqu’il l’avait rencontré en personne. L’Eternel avait percé la forteresse de Touchedieu en un temps record. Gabriel avait été touché par Dieu, et peu importait où il avait fui par la suite, partout où il allait, il retrouvait l’Œil de Caïn. Plus de cynisme possible, Gabriel avait fait le choix de fermer les yeux et de commettre la violence aveuglément pour échapper à l’Œil. Il avait réussi, mais il savait très bien au fond de lui que ce n’était pas parce qu’il ignorait la Colère du Seigneur qu’il n’y serait pas soumis.
Et dans cette cellule, il avait été forcé d’ouvrir les yeux et de regarder en face ce qu’il craignait par-dessus tout. Il s’attendait à subir le châtiment divin tel qu’on le pratiquait sur les Sorcières, il avait découvert un amour inacceptable. Gabriel Touchedieu aurait préféré être puni plutôt qu’être aimé ainsi, car il ne méritait pas d’être aimé, il était détestable et l’avait toujours revendiqué : la terreur était préférable à la popularité.
Il avait senti cet amour lorsque le Frère Ethan s’était déplacé. Il ne l’avait accepté que plus tard. Comme dit précédemment, Gabriel Touchedieu n’était pas fait pour être aimé, ce n’était pas naturel et « normal », ni même juste. C’était.
Lorsque le Gourdin avait accepté d’être pardonné aux yeux de Dieu, celui-ci avait occulté toute trace de ses exactions, sans pour autant les supprimer. Résultat : le Gabriel Touchedieu que venait visiter Mère Mattea était comme un Gabriel qui n’avait jamais été Gourdin. Il était comme atone et sans passé.
Il mit du temps à émerger, bien qu’il ait tout compris et tout entendu. Il n’avait pas tellement envie de parler et de répondre à un autre être humain à vrai dire. Il se sentait déjà tellement lessivé et bouleversé…
« Le chasseur de sorcières de Forbach… »
Un vague tressautement indiqua une sorte de rire.
« Le tueur, le Gourdin, le monstre, le démon… de Forbach »
Autre rire déformé. « Je ne suis plus ca… Mattea ? C’est bien votre nom ? Je ne suis plus comme ca.» Gabriel Touchedieu n’avait pourtant pas l’apparence d’un homme transfiguré par la puissance de Dieu. Certes il était apaisé et son âme ne faisait aucune vague, mais c’était la morosité qui dominait sur son apparence. Dieu avait arraché quasiment tout ce qui était lui auparavant, que lui restait il ? Une barbe blanche et des rides.
« Dans le temps dès que j’avais l’identité ou l’adresse d’une sorcière, je n’attendais pas : une descente chez elle, quelques baffes, des fois on s’amusait avec elle et si elle ne disait rien, et bien elle ne disait rien. Je n’ai pas été sur le Parvis lorsque les sorcières y étaient, je n’ai donc reconnu personne. Je suis plutôt allé à la poursuite de l’Oracle. »
Long silence.
« D’ailleurs si j’étais allé sur le Parvis, je crois que je n’aurai jamais été pendu. »
Effectivement : le Maul et Hiver seraient probablement encore vivants, Gabriel n’aurait pas lutté avec le garde du corps et il ne serait pas tombé inconscient et seul au milieu du bois, il serait resté cette Force de la Nature qu’il était et aurait pu faire un deuxième massacre en un jour. Il serait encore à l’heure actuelle le Gourdin.
Mais s’il n’avait pas poursuivi l’Oracle, Maestriani n’aurait jamais réussi à attraper le messie démoniaque.
Quand on y réfléchissait c’était un sacrifice que Gabriel Touchedieu avait fait : Pour que l’Oracle puisse être arrêtée et châtiée, il avait donné sa vie à crédit. Il avait signé la destruction du Gourdin.
La destruction du Gourdin était accomplie et effective désormais. |
| | | Inquisiteur Général
| Sujet: Re: Pur intérêt teinté de compassion Mar 24 Aoû 2010 - 21:40 | |
| Abasourdie, Mattea regarda Gabriel Touchedieu. Elle revenait sur tout ce qu'elle avait pu penser. Soit il était devenu tellement fou qu'il n'y avait plus rien à en tirer, soit il la prenait pour une imbécile – et elle détestait ça. Contenant tant bien que mal la fureur qui naissait en elle, Mattea – surprise qu'il ait retenu son nom – se concentra pour ne pas le couper. Il allait peut-être mettre de côté son ridicule petit numéro – il se fichait d'elle ! – et enfin lui dire ce qu'elle était venue chercher. Il n'était plus comme ça ? Parfait, grand bien lui fasse. Il n'allait pas lui faire le coup de l'amnésie, en plus ? Il n'y avait qu'elle qui y ait droit. Puis, il lui expliqua ses méthodes, dans le passé. Mattea ne grimaça pas, elle n'eut pas pitié des sorcières. Le Seigneur lui pardonne, elle serait peut-être pire le jour où elle mettrait la main sur les démons de la tribu d'Olrun. Mais elle réalisa amplement ce qu'il tentait de lui faire comprendre : s'il avait su quelque chose, découvert un infime indice, il serait passé à l'action. Et sa colère retomba. Elle comprit la portée de ses paroles : s'il était venu sur le Parvis, et elle regrettait de ne pas l'y avoir traîné, alors qu'elle en avait eu la possibilité, il ne serait pas en geôle, il ne serait pas sur le point de mourir. Elle regarda le vieil homme qui lui faisait face. Non, il ne lui faisait pas face. C'était à peine s'il la regardait. Il était préoccupé par autre chose ; c'était comme si ses yeux contemplaient déjà l'au-delà. Force lui était de constater l'immense fossé entre l'homme de l'auberge et l'homme du cachot. La perspective de la mort pouvait changer un homme à ce point ? Interpelée, elle murmura : - Que vous est-il arrivé ?La question ne se rapportait pas aux faits du Muguet : elle les connaissait. Ce qui l'intriguait au point d'oublier momentanément ses questions, qu'elle estimait vitales, c'était de comprendre ce qui avait pu pousser un homme de la violence de Touchedieu à ainsi attendre sa fin. Oui, sa fin était proche, mais elle devinait qu'il marcherait sereinement vers son supplice. Qu'est-ce qui lui donnait une telle assurance, à lui, le voleur et le brigand, qui allait marcher droit en Enfer ? À moins que son pacte avec Dieu, comme il le disait, lui assure une place au Paradis ? Comme toujours lorsqu'une question la détournait de son véritable but, Mattea ne fut pas bien longue à revenir à ses affaires. Si Touchedieu n'avait aucun indice à lui révéler, aucun élément nouveau qui ne fût en possession de l'Inquisition, elle avait perdu son temps. Alors, se promettant qu'il s'agissait de sa dernière tentative et qu'après, elle retournerait à des activités plus productives, elle demanda : - Vous n'avez donc rien à me dire sur Olrun qui ne soit déjà connu ?Mattea revit les tuniques blanches de la nuit où l'Inquisition s'était faite haïr par la population. Ces tuniques... combien de temps encore l'obséderaient-elles ? Il fallait qu'elle sache, et peut-être que Touchedieu aurait tout de même quelque chose à lui apprendre. Et il fallait compter avec ce renouveau chez lui. Il n'était plus le chasseur de sorcières – la mauvaise plaisanterie – qu'elle avait connu, disait-il. Elle sentait que, même s'il savait quelque chose, il le lui cacherait pour se conformer à l'image de ce nouvel homme qu'il disait être devenu – quelques heures avant sa mort. Alors, elle ajouta, un peu tremblante à l'idée que son secret puisse être trahi mais rassurée parce que plus personne ne verrait Touchedieu, et qu'il ne pourrait rien dire à personne : - Si vous savez quelque chose, vous devez me le dire. Olrun m'a tout pris, et j'ai la possibilité de pouvoir retrouver ces souvenirs que les sorcières m'ont volé si je trouve les responsables de ce sortilège qui persiste sur moi depuis des années. Je ne m'adresse pas au chasseur de sorcières, puisqu'il est mort. Je m'adresse à vous et à votre sens de la fraternité.Mattea elle-même n'y croyait pas. Après tout, ce n'était pas comme s'ils avaient partagé quelque chose. Mais ils avaient œuvré pour la Sainte Inquisition. Et puis, Touchedieu n'avait peut-être rien à dire. Mais elle sortirait avec l'assurance d'avoir tout tenté. |
| | | Mort(e)
| Sujet: Re: Pur intérêt teinté de compassion Mer 1 Sep 2010 - 8:48 | |
| C’était normal qu’elle revienne à la charge, lui-même passait ses journées à vaguement essayer de comprendre pourquoi. Enfin, il essayait vaguement parce que c’était la seule façon de remplir ses heures, mais il avait renoncé à une réponse depuis longtemps. Combien de temps s’était il entêté à dire « comment ? Pourquoi ? » Quelque jours ou quelque heures ? Puis il avait cédé et avait admis ceci : jamais il ne comprendrait les raisons et les explications. Ce n’était pas intelligible, c’était. Que dire de plus ?
Il se força néanmoins à se replonger un peu dans l’arrière, et ce fut un frisson qui le parcourut, comme si une bête remuait dans son sommeil à côté de lui, mais ce dragon là ne se réveillerait plus jamais. Voyons, quels souvenirs avait il gardé de « avant » ? Qu’est ce qui pouvait être utile au seul être humain qui s’était donné la peine de venir jusqu’ici ? C’était le moindre signe de reconnaissance que de lui accorder ainsi ses souvenirs ou son expérience.
Mais ces souvenirs et cette expérience étaient floutées, comme barbouillées par une main humide qui avait brouillé le tout. Un peu comme si on essayait de se remémorer les actes d’un étranger inconnu. Gabriel Touchedieu fit néanmoins un effort sincère pour se remettre en tête ce qui pouvait rendre plus agréable la vie de sa visiteuse. Se rendre utile au seuil de la mort, peu de condamnés avaient cette chance. Mais rien ne venait. Il devait pourtant bien y avoir une sorcière dont il avait croisé le regard et qu’il n’avait pas pu tuer…
Une scène se précisa. Une scène où il avait été une bête acculée puis assomée.
« Il y a trois sorcières que je n’ai jamais pu frapper. Vous souvenez vous de ce scandale qui m’a valu d’être mis à pied avant la Clairière aux Muguets ? On m’avait reproché d’avoir attaqué la Comtesse Alicia de Sarrebourg et deux de ses amies sous l’emprise de la folie. En fait, je n’étais pas fou, j’avais été drogué par une sorcière. La drogue m’a fait venir jusque dans les appartements de la Comtesse. Et là, ses deux amies m’ont encadré. La comtesse m’a fait un petit discours en me disant que je ne tuerai plus jamais ses sœurs, et elle m’a légèrement piqué au torse pour faire couler une goutte de sang. C’est cette piqure qui m’a ranimé et m’a fait envoyé valser ces trois sorcières. »
Il ne l’avait dit à personne avant, parce qu’il cherchait un moyen de se venger seul et surtout sans s’attirer la vengeance de Forbach sur lui. A présent, il donnait ces informations lourdes de sens, des informations qui feraient valser plus qu’un piedéstal.
« Il y avait Alicia de Sarrebourg, qui était la chef de ces trois sorcières. Il y avait une petite boulotte à ma gauche, impossible de me souvenir de son nom. Il y avait une autre fille à ma droite, c’était un véritable serpent celle là. Demandez à Frère Ethan qui était la fille que j’ai étranglé le soir de son arrivée, il saura, et je peux vous dire que c’est elle. J’ai été assommé ensuite par derrière sans doute par une autre sorcière mais qui… je ne le saurais jamais. Mais avec ceci, vous devez pouvoir vous faire une opinion je pense. »
Ceci serait sans doute la dernière vengeance du Gourdin, au-delà de l’exécution, au-delà de la tombe. Il était douteux que Mère Mattea réussisse à renverser une femme aussi populaire que la Comtesse, surtout mariée à Maestriani, mais elle avait obtenu ce qu’elle voulait non ?
Gabriel Touchedieu navigua encore un peu dans ses trop nombreux souvenirs, puis dans un soupir, coupa tous les ponts. Il avait été le Gourdin pour la dernière fois, ceci était déjà une entorse. Maintenant, il avait plutôt envie d’expliquer ce qui lui était arrivé. Autant pour répondre à la première question de Mère Mattea que pour se répondre à soi même.
« Que m’est il arrivé hein ? »
Il leva les yeux au plafond, il n’y avait plus de ciel depuis longtemps.
« Je suis la victime d’une injustice. Une grave injustice. »
On pouvait penser qu’il s’agissait de son exécution, mais c’était justement le plus formidable triomphe de la justice de toute sa vie. Il ne parlait pas de justice humaine codifiée et basée sur l’éthique.
« Je suis victime d’un pardon. Croyez-moi je l’ai pas cherché. »
Peut-on être victime d’une absolution ? Oui, si vous considériez Gabriel Touchedieu et le Gourdin qu’il était. Le pardon était il une injustice ? Oui, disaient toutes les familles des défunts et les morts eux même. C’est pourquoi il précisait qu’il ne l’avait pas cherché. Il ne voulait pas que dans sa liste de crimes on rajoute : « a échappé à la justesse ».
« Il faut que je vous raconte un épisode de mon âge mûr, j’avais à peu près quarante ans à l’époque, et j’étais un des bandits les plus craints de Lorraine. Un vrai bandit. »
Gabriel Touchedieu mit dix longues minutes à expliquer en détail les circonstances, le contexte et le détail de ce qui lui était arrivé lors de cette fameuse nuit où il avait été relié de force avec le Père, où ses murailles avaient été irrémédiablement brisées. Il laissa à Mère Mattea le soin de juger l’histoire, lui racontait c’était tout.
« Après que mes murailles se sont effondrées, je n’étais pas encore prêt à vivre sous le regard de Dieu. Je me suis enfui dans l’inquisition, j’ai joué à cache cache pendant vingt ans. Maintenant que je suis entièrement nu…. »
Qu’il avait le dos au mur, la corde au cou.
« il n’y a plus que cet Œil, et cette présence qui me rappelle que je Lui appartient. Pas le Gourdin, juste Gabriel Touchedieu dans sa forme la plus basique. Voilà pourquoi mon état. »
L’œil était dans la tombe et regardait Cain, cela vous dit quelque chose ? |
| | | Inquisiteur Général
| Sujet: Re: Pur intérêt teinté de compassion Jeu 2 Sep 2010 - 12:55 | |
| Mattea n'espérait pas vraiment qu'il parle. Elle avait parlé en se disant qu'elle tentait tout ce qui était à sa portée. Aussi, quand Touchedieu, parlant lentement à cause de l'effort évident que lui demandait le fait de se souvenir, lui expliqua qu'il restait trois sorcières d'Olrun qu'il n'avait jamais frappées, Mattea sentit son cœur faire un bond. Ce n'était pas si difficile ; le chasseur de sorcières ne pouvait pas disparaître sans laisser de traces. Olrun... elle tenait le début de sa vengeance. Suspendue aux lèvres de Touchedieu, elle enregistra soigneusement chaque information livrée, chaque indice pour retrouver la piste des trois femmes. Alicia de Sarrebourg... c'était une information lourde de sens. Seigneur, si Mattea avait bien écouté le babillage de l'aubergiste de la Croix-Rousse, il s'agissait d'une des figures emblématiques de la noblesse de Forbach. D'ailleurs, cela expliquerait la lenteur de l'Inquisition à Forbach. Si une femme aussi puissante protégeait les siennes... Mattea ne mit pas un instant la parole de Touchedieu en doute. Il était aux portes de la mort, on ne mentait à pas ce moment-là. Elle avait eu ce qu'elle voulait. Difficile de contenir le sentiment jubilatoire qui l'envahissait. Sa colère envers Touchedieu était retombée : ne restait plus qu'une étrange et inhabituelle compassion. Le vieux qui était à même le sol de son humide cachot n'était plus que l'ombre du terrifiant inquisiteur, et pourtant... - Merci.Elle ne pouvait dire plus. Touchedieu lui donnait les armes nécessaires, et si elle commençait à s'épancher sur l'importance de ses mots, il se moquerait d'elle. Elle allait se retirer quand Touchedieu la retint – sans doute involontairement – en répondant à l'une de ses questions. Elle ne s'attendait plus à ce qu'il y réponde, mais elle resta en place. Elle n'était pas grossière au point de repartir sans l'écouter. Alors, elle prêta une oreille distraite à sa révolte contre l'injustice dont il était victime. Puis, il lâcha cinq mots, cinq bombes. D'un coup, Touchedieu eut toute son attention. Ses yeux verts le vrillèrent avec surprise, comme hésitant à le croire. Oui, il avait changé. Il vivait l'expérience la plus mystique de son existence. Apprendre qu'il avait été le plus grand bandit de Lorraine ne la surprenait pas vraiment, mais qu'il lui parle aussi facilement de concepts avec lesquels les grands théologiens de Rome s'arrachaient les cheveux, c'était surprenant. Il parvenait à mettre des mots sur ce qu'il ressentait, et des mots compréhensibles. Aussi étrange que cela puisse paraître, Mattea comprenait parfaitement. Touchedieu avait rencontré Dieu, et il était sonné. Elle n'avait aucune idée de ce que cela pouvait faire, n'ayant jamais vécu une telle épreuve, mais soudainement, toutes les pièces du puzzle se mettaient en place. Elle comprenait mieux l'attitude du vieux. Elle devinait pourquoi il allait marcher sans peur. Elle resta silencieuse un long moment, regardant la sérénité de Touchedieu, l'enviant presque. Elle ne savait pas s'il allait aller en Enfer, au Purgatoire ou au Paradis, mais elle pouvait faire une dernière chose. Si elle n'avait pas profondément détesté toucher les autres personnes, elle aurait sans doute tracé une croix de bénédiction sur son front. Elle ne lui sourit pas non plus, parce qu'elle en était incapable. Elle laissa simplement ses yeux perdre leur inflexibilité. Alors, elle prit son inspiration, parce qu'elle allait dire quelque chose qu'elle penserait vraiment. Il ne servait à rien de commenter le reste, parce qu'elle l'avait compris. Elle effleura son bras, puis dit d'une voix sincère : - Je prierai pour le salut de votre âme.C'était tout ce qu'elle avait à lui offrir. En remerciement pour ce qu'il venait de lui apprendre, en encouragement pour son devenir. Après tout, elle était religieuse, elle le ferait bien, non ? Puis, elle se releva et sortit du cachot, pensive. Il ne lui restait plus qu'à affronter la potence. Et elle se surprit à adresser une prière au Plus Haut, pour que son supplice soit de courte durée. Parce qu'elle ne pouvait avouer que son âme était retournée. Et qu'elle s'était laissée toucher plus que prévu par la vieille brute illuminée par la présence divine. |
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