Quelles lois régissaient la sorcellerie ? Quel risque réel qu'elle recommence, devant tout le monde, cette fois ? Qu'est-ce qui avait bien pu déclencher tout ça ? La proximité de l'Agent du Diable ? La proximité d'un combat ? La perspective de la mort ? Et puis, qu'avait-elle tenté de faire, exactement ? Aurait-elle tué l'Agent du Diable ? L'aurait-elle transformé en torche vivante ? Était-ce du latin qui avait franchi ses lèvres ? Est-ce que ce simulacre d'enchantement avait fonctionné ? Avait-il eu un impact réel dans la capture de l'Agent du Diable ? Était-il possible de remonter jusqu'à elle ? Viviane lui manquait cruellement. Elle aurait su quoi faire, elle ! Cassandra tenta de calmer sa respiration. Tout ça n'était plus de son âge. Elle aspirait seulement à voir Narcissa grandir, à discuter avec Viviane, à construire le monde avec le père Ethan, à rêver avec Sarah Geisler... et à penser à Amaël, à ses heures perdues. Et pourtant... ce n'était pas encore pour maintenant. Là, elle avait encore des choses à accomplir, pour tenir sa parole, et pour le futur de sa fille.
Cherchant du regard la présence de Sarah Geisler, qu'elle ne repéra pas, Cassandra s'apprêtait à descendre de cheval quand le Loup de la Reine fit une annonce. Sur laquelle la Veuve eut beaucoup de mal à se concentrer, trop occupée à lutter contre ses propres peurs. Seuls quelques mots, comme
ordre royal, lui parvinrent. Faisant un suprême effort pour ne pas tourner bride directement et se concentrer sur ce qui venait d'être dit, Cassandra regretta de ne pas avoir tout écouté, parce que la situation lui parut absurde. L'Inquisition ne relevait guère des décrets royaux et n'avait pas de comptes à rendre à un autre que le Pape, mais elle avait dû manquer la partie sur Rome.
Si le Second n'était pas là, c'était forcément qu'il cautionnait ce qui arrivait, elle n'avait donc pas à s'inquiéter. Sans doute voulait-il s'allier l'esprit de déduction réputé brillant de l'enquêteur. C'était vrai, peut-être leur serait-il utile, après tout... Qu'il assiste donc à leurs interrogatoires, ça ferait sans doute progresser leurs plans. D'un air absent, elle répondit :
- Bien, occupez-vous de tout cela.Et tout cela lui convenait à merveille, à vrai dire. Elle était libérée de toutes ses obligations, et elle pouvait se retirer. La Veuve quitta le parvis sans plus attendre, saluant à peine David, à qui elle devait pourtant beaucoup, ce soir. Tout en lançant sa monture au trot, ressentant dans chacun de ses os la douleur de son corps trop vieux, Cassandra répéta en une longue litanie tous les noms des saints qu'elle connaissait. La prière était le seul refuge qu'elle pouvait trouver. En attendant d'atteindre la maison de Viviane, pour être certaine de ne pas refaire de magie, elle ne pouvait faire que ça.
Jamais les rues de Forbach ne lui avaient semblé si longues. Elle avait l'impression que le canasson qu'elle avait emprunté à ce jeune Inquisiteur blond n'était qu'un vulgaire cheval de trait, incapable de comprendre l'urgence de la situation. La Veuve en avait à peine conscience, mais tout était mieux que de penser à ce qu'elle pouvait faire, ou qu'elle risquait de faire. Viviane... pourvu que sa sœur soit chez elle, et non à sa boutique ! Au tournant décisif, Cassandra décida de d'abord tenter sa chance à la maison Valdemar. Elle ne pouvait faire irruption en plein milieu du commerce familial, pas dans cet état. Parce qu'elle le savait, elle craquerait dès qu'elle verrait Viviane.
Se retrouver devant son ancienne demeure apaisa une première fois la Veuve. C'était chez les siens qu'elle retrouverait sa sérénité.