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 La Tour des Anges

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Noâz Loewenstein
Fugitif
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Noâz Loewenstein


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MessageSujet: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeVen 21 Déc 2012 - 15:34

[Suite du topic Lame d'Espoir]

Le chemin à travers la forêt était éprouvant. Noâz n’avait rien pour le protéger de la pluie que les hommes d’Europe n’étaient pas décidés à interrompre pour une raison qu’il avait bien du mal à comprendre. Les cheveux plaqués sur son visage ruisselant, il ne pipait mot. Il n’avait même pas répondu aux remarques d’Europe. Il ne la craignait pas d’ordinaire. Mais depuis qu’elle avait perdu ses pouvoirs, les rumeurs disaient qu’elle les compensait par une folie brutale et cruelle que la scène de massacre dans la montagne n’avait pas contredite. Rien de plus dangereux qu’un animal blessé… Noâz n’était donc pas effrayé, il semblait qu’il avait plutôt bien réussi son coup, mais méfiant, elle était capable de changer d’avis en une ruade.

Noâz repensa brièvement au fait qu’elle l’avait appelé par son vrai prénom. Pour la toute première fois. Le mystère avait du tomber dès l’alliance des tribus, ça Noâz s’en doutait pertinemment. Mais que le mot soit parvenu jusqu’à Europe, si isolée, le fit frémir. Il était bel et bien en danger. Le Comte repensa également à ces mots qu’elle avait presque glissés à son oreille en venant si proche de lui. Son canon contre sa peau. Il avait eu cette furtive et stupide pensée qu’Europe faisait approximativement la même taille que sa mère, peut-être même le même âge, et la peau presque aussi pâle. Ce glaçage qui recouvre les peaux oubliées, protégées des rayons de la raison, cette froideur qui gangrène jusqu’aux cœurs les plus passionnés pour n’y laisser qu’un désert de sentiments.

L’interminable chevauchée ralentit à l’approche d’une clairière. La douzaine de cavaliers se dispersa. Europe et Noâz étaient restés sur place. Quelques minutes plus tard, signe fut donné par les cavaliers éclaireurs, que la voie était libre. Europe et Noâz se dirigèrent vers la clairière que Noâz n’avait semblait-il jamais vue de sa vie. Les sabots des cheveux s’enfonçaient presque dans la terre trop humide. Ils n’avaient pas été suivis par les sbires d’Europe cette fois-ci. Noâz n’y comprenait franchement rien. Qu’allaient-ils bien pouvoir faire au centre d’une clairière sinon qu’elle ne lui tire dans la tête. Europe descendit de son cheval et lui tapa deux fois sur les flancs pour qu’il retourne s’abriter dans la forêt. Noâz l’imita. Puis elle sembla chercher quelque chose, droit devant elle, au loin. Elle leva finalement sa main à hauteur d’yeux. Mais à qui faisait-elle signe ? Et murmura quelques paroles inaudibles. Mais à qui d’adressait-elle ?

Ce qui se passa alors ne résolut aucun mystère. Des ombres géométriques se dessinèrent dans les airs, comme un maillage rectangulaire, puis dans un bruit de grincement minéral, des pavés translucides comme d’énormes cristaux se déplacèrent, glissèrent, roulèrent, déstructurant le maillage fait des jointures de ces pierres pour ouvrir une brèche dans ce mur invisible, brèche qui se transforma rapidement en véritable arche majestueuse posée sur la terre humide au milieu de rien, mais dont l’autre côté ouvrait sur une lueur froide et domestique. Europe passa l’arche sans peur, pénétrant la demeure invisible. Noâz la suivit, plus hésitant, et vit de l’intérieur l’arche ouvrant sur la clairière se refermer par le même mécanisme impossible des pierres qui de ce côté étaient bien opaques.

Il jeta rapidement un regard circulaire. C’était une pièce, pas immense, complètement circulaire, dont la majeure partie du diamètre était occupée par un large escalier en colimaçon qui n’en finissait pas de monter. L’éclairage, faible, était fait de lanternes ouvragées en forme de flammes à la lumière pâle, bleuté. L’ambiance qui en résultait était tout bonnement mystique. Ce lieu n’était pas du fait des hommes, c’était une évidence. Ils marchèrent montèrent l’escalier, de longues minutes, pour atteindre ce qui devait manifestement être la pièce principale. C’était un grand salon tapissé et meublé, sobre mais élégant. Le lustre descendant du haut toit conique diffusait cette même lumière bleuté dans toute la pièce qui ne se déparait pour autant d’une certaine obscurité.

Noâz repéra sur un chevalet accompagné d’un candélabre aux flammèches céruléennes ce qui devait être le Livre des Anges. Non loin se trouvait sur un piédestal haut et fin une boule de verre qui irradiait. Noâz s’approcha, il y reconnut une silhouette, en négatif il vit Sigmund von Wädenswill à cheval, l’épée du Gardien à la ceinture. Cette boule de cristal devait donc être l’interface de communication entre l’ange veilleur, Teguhan, dont lui avait parlé Europe, et l’épée du Gardien. De l’autre côté, Europe, qui ne s’était pas défaite de son manteau boueux, était à ce qui semblait être un balcon où trônait une longue vue argentée aux dimensions presque surréalistes, par laquelle elle essayait probablement de retrouver Sigmund. Mais à l’heure qu’il était probablement avait-il passé la Montagne de la Fraternité.


« Nous ne la retrouverons pas.
Par là je veux dire, jamais. Car je doute que tu aies la certitude de ce qui se passe pour cette épée au-delà de son déplacement dont vous a averti Teguhan. L’Inquisition ne compte pas éloigner l’épée de Forbach. Elle compte l’exorciser et la bénir. Quand ils en auront fini cette arme se retournera contre nous. Il faut passer à tout autre chose… »


Noâz s’était avancé à son tour sur le balcon. Il observa le paysage. La tour invisible était si haute qu’on pouvait y voir par-dessus la forêt les fumées du village, le clocher de Zetting, jusqu’au château de Frauenberg sur des hauteurs plus lointaines. Mais ce qui retint le plus l’attention de Noâz ce furent les étranges pierres alignées juste au-dessous d’eux dans la clairière. Il comprit tout en un éclair. Ce n’était pas une clairière. C’était la Clairière Sacrée d’Olrun ! En bas ce n’était pas des pierres mais les grands sièges des prêtresses d’Olrun. Europe avait fait construire cette tour enchantée en plein milieu du lieu de culte de sa tribu. Elle bénéficiait ainsi d’un pôle énergétique incomparable. Voilà à quoi servait la pluie. Les sorcières d’Olrun, ou plutôt du Pacte d’Ailrun à présent, ne se réuniraient pas dans la Clairière en temps de pluie. Chaque fois qu’Europe avait besoin d’effectuer un déplacement elle n’avait qu’à demander à ses hommes de provoquer un tempestaire pour s’assurer que la Clairière serait libre, de manière à protéger le secret de sa demeure.

« Quel ange as-tu invoqué pour construire cette tour ?
De son emplacement à son utilité, c’était audacieux et stratégique…

Tu joues vraiment très gros pour parvenir à tes fins »
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Europe
Fugitive
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeMer 23 Jan 2013 - 3:17

Après toute une vie Europe parvenait encore à s’émerveiller de ce que pouvait réaliser la sorcellerie. En cavale, destituée, rejetée, recherchée, elle parvenait malgré tout à dormir dans un lit, avec un toit au-dessus de la tête, tout en dirigeant une coalition terroriste clandestine. Elle se demanda vaguement si Alicia avait déjà été réduite à une telle clandestinité, du temps où son idée de tribu dissidente, toute fraîche, était encore une hérésie solitaire… La réponse lui soufflait que oui. Que sa rivale avait du, au moins, partir du plus pur dénuement.

Ses doigts effleurèrent les cylindres argentés de la lunette tandis qu’elle reculait son œil de l’optique, avec au visage une expression mécontente. Cet objet procédait évidemment lui aussi de la magie, et permettait à Europe d’observer tout ce qui était observable ou presque à Forbach, pour autant que le sujet d’étude demeure dans le champ de vision de la longue-vue… Or la Montagne de la Fraternité bouchait l’horizon. La Grande Prêtresse déçue rechignait à l’admettre mais l’adolescent avait raison: ce n’était plus comme ça qu’elle retrouverait l’épée du Gardien. D’ailleurs son échec tout récent lui restait sur la conscience et déposait un goût très amer sur sa langue, exacerbé par le décès d’un de ses partisans, tué par l’Inquisiteur.


"Exorciser et bénir?" répéta-t-elle à voix basse. Effectivement, une fois l’épée passée entre des mains appropriées, elle serait une arme pour leurs ennemis. Europe ne désespérait pas de la récupérer un jour, mais c’était devenu un projet trop aléatoire pour demeurer le plan principal. Heureusement, elle avait toujours des plans de secours et, présentement, une longueur d’avance sur ses adversaires, comme elle l’avait prouvé aujourd’hui.

Les paroles de Noâz l’interpellèrent tandis qu’elle quittait le balcon et rejoignait la pièce circulaire, en tâchant de dissimuler un rictus à la fois de mépris et de dépit. Jouer très gros? Noâz avait décidément encore beaucoup à apprendre. Elle n’avait rien fait de moins que ce qui était nécessaire… Reconquérir son trône étant devenu l’obsession de sa vie, Europe ne se posait même plus la question du risque à prendre ou du prix à payer pour cela, puisqu’elle était déterminée à le récupérer quelqu’en soit le coût. Le sortilège de construction de la Tour lui aurait demandé de se couper le bras en échange qu’elle aurait obéi sans hésiter…
Depuis qu’elle avait été destituée, il n’y avait pas de retour possible. Elle était immergée dans un monde où l’on ne pouvait pas retourner en arrière. Il fallait faire les choses à fond ou ne pas les faire du tout; Europe, si ce n’était pas déjà le cas avant, était devenue une sorte de femme des extrêmes, de même que les rares partisans qui lui apportaient encore son soutien. Et c’était cela qu’elle aimait chez eux, au-delà de leur dévouement: ils n’avaient pas peur de se salir les mains, de vivre à la dure, de sacrifier tout, de dormir dans la poussière, de commettre le pire. La preuve aujourd’hui en était flagrante: ils avaient tué chevaux et hommes sans sourciller. Europe ne voulait pas dans son camp d’une personne ne sachant pas tenir un couteau ni s’en servir. Elle les avait prévenus dès le début de sa cavale: il faudrait être prêt à tuer à tout instant, tuer ou être tué. Et eux avaient accepté, prêts à assumer les conséquences, entachant leurs âmes par le choix et le sang.
Une fois son trône récupéré, Europe ferait de ces gens ses bras droits. La nouvelle tribu d’Olrun aurait alors à sa tête ces personnes si fortes, entraînées, résistantes et intraitables. Autrement dit une caste de sorciers infiniment supérieure à ceux qui réintègreraient le nouveau Lys Noir mené par Noâz.
A vrai dire, depuis qu’elle avait accepté cette proposition d’alliance, Europe pensait souvent qu’il lui serait facile de tolérer l’adolescent jusqu’à l’obtention de leurs trônes respectifs, puis de l’écraser ensuite une bonne fois pour toute, lui et ses partisans. Cependant, si il fallait tirer un enseignement de ces décennies de guerre, c’était bien celui-ci: le Lys Noir avait suffisamment prouvé que son existence avait du sens. Des années de rivalité avec Alicia et de leur entretien télépathique, était en outre née une considération mutuelle extrêmement forte, en raison de laquelle Europe était bien décidée désormais à respecter l’œuvre de sa rivale. Au-delà de tout, la présence du Lys Noir ne la gênerait pas du moment qu’il ne serait pas un obstacle entre elle et le trône d’Olrun.


"C’est Elemiah, l’ange constructeur, qui a façonné cet édifice –invisible depuis l’extérieur, comme tu as pu le constater. La Tour est inviolable. Elle ne s’ouvre que sur mon ordre."

Le problème, pensa Europe, c’était la pérennité même du sortilège: elle n’avait eu, et n’avait encore, que peu de partisans à disposition pour accomplir le rituel à sa place. Ainsi le sortilège d’invisibilité protégeant la Tour des Anges était-il nécessairement voué à se rompre dans un futur proche, et Elemiah ne daignerait probablement pas se faire rappeler. Les Séraphins invocables depuis le Grimoire de Lorenzo pouvaient s’avérer extrêmement pratiques mais il ne fallait jamais s’attendre à obtenir à la fois le beurre et l’argent du beurre. Au moins l’alliance avec Noâz –si ce dernier disait vrai- aurait-elle le mérite d’apporter au rang des partisans quelques effectifs supplémentaires…

"Approche" dit-elle à l’adolescent. La sorcière se plaça à côté du grimoire séculaire reposant sur son piédestal, et en tourna les pages à la reliure jaunie jusqu’à parvenir au passage souhaité. Le paragraphe à la calligraphie stylisée était rédigé en sumérien, et surplombait l’illustration de deux créatures ailées s’opposant dans un clair-obscur antithétique.

"Le mazdéisme est un culte bien plus ancien que le christianisme. Son livre sacré, l’Avesta, met en scène les Anges du Bien et du Mal, Ormuzd et Ahirman. Chacun conseille l'homme dans ses réflexions et ses décisions… Dans la terminologie populaire, on les surnomme les « anges d’épaule »." Elle marqua un instant de silence, avec un petit sourire, puisque Noâz devait se demander le rapport avec la choucroute. "Ce sera notre prochaine étape. L’information circule au sein de la tribu réunifiée depuis quelques jours: il va y avoir une réunion de dirigeants à visages cachés, organisée par le Pax Humanum, pour tenter d’établir la paix à Forbach. J’ignore où elle se déroulera exactement car le lieu est tenu secret, mais il n’est pas nécessaire de le savoir. L’heure venue, nous invoquerons Ormuzd, l’Ange du Bien, afin de le neutraliser... Puis Ahirman, son jumeau opposé, afin qu’il intervienne à notre profit dans la réunion. Chaque phrase que nous lui dicteront, sera insufflée par lui dans l’esprit des protagonistes, de manière à semer la zizanie et faire échouer le conciliabule."

Europe marqua une nouvelle pause. L’orage se terminait mais le crépuscule tombait et dans la Tour à la hauteur vertigineuse, empreinte d’obscurité mystique, il faisait déjà presque nuit. Elle observa dans cette pénombre les prunelles de Noâz qui brillaient à la lueur des chandelles.


"Ce sera ton test de passage. Rassemble au plus vite tes alliés, puisque tu prétends en posséder. Ils vont nous être indispensables pour donner de la puissance au rituel. Le Pacte d’Ailrun a déjà commencé à opérer le processus de fusion des deux tribus... Si ils sont parvenus à faire une telle chose, il est possible qu’ils parviennent aussi à imposer la paix à Forbach, surtout si ils ont le soutien de la faction de Louisa Zimmerman. Je ne permettrai pas que cela arrive."

La Paix était désormais le visage de leur pire ennemi à tous deux. Si cet idéal, en dépit de toute prévision sur la nature humaine, était réalisé… Ni Europe ni Noâz ne pourraient plus jamais espérer retrouver la direction de leur tribu respective.

Elle tourna de nouveau les pages. Un peu plus loin figurait un autre texte très dense, en hébreu cette fois, orné d’une unique illustration représentant un arbre stylisé constellé de symboles divers.
La Cabale était la science des chiffres et des écritures sacrées dans lesquelles les cabalistes voyaient des formules magiques. Dans leur conception ésotérique, celui qui réussissait à décrypter tous les textes sacrés pouvait avoir la puissance de l’univers dans sa main. Son enseignement était le même que les valeurs qu’Europe avait prôné toute sa vie… Il n’y avait pas de nom mieux choisi pour désigner le nouveau mouvement qui venait de naître de l’alliance de deux êtres antithétiques.


"La Cabbale, ne permettra pas que cela arrive."
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeSam 9 Fév 2013 - 18:41

[Précédent = Piège de Cristal]



Les mugissements étranges d’une créature non-identifiée retentissaient ponctuellement dans la Schwarzwald, faisant fuir les oiseaux nocturnes. Il s’agissait en fait d’Europe, qui poussait râles et grognements sous la charge du lourd fardeau qu’elle traînait à travers bois: Noâz, inconscient et complètement détrempé, tiré par les aisselles sur le tapis de mousse et de feuilles mortes. La sueur inondait le front et la nuque de la sorcière. Elle avait profité de la panique générale qui avait envahie le pacte d’Ailrun, après que Viviane ait été touchée, pour venir secourir l’adolescent au milieu du lac qui, déjà, commençait à s’apaiser grâce à la brisure du rituel d’invocation des ondines. Les sorcières avaient reflué, effrayées par cet ennemi invisible et par leur Grande Prêtresse qui devait désormais arborer un beau trou sanguinolent dans l’épaule. Europe avait profité de la diversion pour ramer au plus vite vers le centre de l’étang, où la vérité s’était imposée à elle: Noâz était seul dans la barge. Il n’y avait pas trace de sa mère adoptive; cette dernière était soit tombée à l’eau, soit absente depuis le début. Dans tous les cas, Europe n’avait pas eu le temps de s’en soucier.

Elle s’arrêta quelques secondes pour faire une pause, recouvrer son souffle et soulager son dos douloureux. La Grande Prêtresse déchue avait beau être en bonne forme physique, elle allait sur ses 45 ans et ne possédait plus la vigueur de la jeunesse. Contrairement à cet empafé qui lui, avait la moitié de son âge; c’était tout de même un comble qu’elle doive le trainer ainsi tel un sac de gravas en s’abimant la santé…

Quelques minutes plus tard, elle parvint à la fontaine, et put heureusement hisser Noâz en croupe de son cheval qui l’avait tranquillement attendue sur place en broutant l’herbe humide. A partir de là, le retour fut plus facile. Une mauvaise surprise l’attendait cependant lorsqu’elle parvint à son refuge: la Tour des Anges, d’ordinaire complètement invisible, ne l’était plus.
Il subsistait encore des vestiges du sortilège, bien sûr. Mais ils n’étaient plus suffisants pour camoufler l’endroit à la vue d’éventuels visiteurs. Le contour rectangulaire des lourds blocs composant l’édifice, flottait dans l’air en composant une mosaïque translucide aux traits apparents. Même dans la nuit, on distinguait le diamètre de la Tour, sa hauteur, ses fenêtres… A la fois apparente et transparente, la construction n’allait pas tarder à devenir aussi tangible que n’importe quel bâtiment normal. Pour Europe comme pour Noâz, ce n’était plus un endroit sûr.

Une fois encore, il aurait été préférable de s’occuper de ce problème immédiatement, mais le jeune Comte l’en empêchait. Europe jura de toute la force de ses poumons, puis pénétra au sein de la bâtisse. Il lui fallut encore fournir de gros efforts pour transporter Noâz dans l’escalier en colimaçon; elle le lâcha ensuite au-dessus du large sofa du salon, où il s’affala avec lourdeur, encore plongé dans un état proche de l’inconscience. Alors seulement, la sorcière prit le temps de l’examiner.

L’adolescent semblait en très mauvais état. Trempé, couvert de débris végétaux, agité dans son sommeil et surtout, brûlant de fièvre. La douleur causée par le stigmate semblait le dévorer de l’intérieur. Une épreuve telle que celle qu’il venait de vivre aurait été pénible pour n’importe qui, mais les symptômes de l’hyperesthésie avaient dû la rendre quasi insupportable… Europe eut même la crainte, un moment, que Noâz ne passe l’arme à gauche là, juste sous son nez. C’est pourquoi elle fit momentanément abstraction de sa rancœur personnelle et entreprit de raviver le feu, augmenter la température de la pièce, sécher l’adolescent trempé, chercher des traces d’éventuelles blessures, et préparer des décoctions aux recettes séculaires pour calmer la douleur, apaiser l’esprit, endormir les sens. Après quoi elle épuisa son lexique de jurons plus grossiers les uns que les autres en réalisant que elle, Europe Eléanora-Sun, héritière d’une famille richissime, Grande Prêtresse d’Olrun et rivale de la légendaire Meneuse du Lys Noir, était tout simplement en train de faire le travail d’un domestique, à savoir s’occuper d’un infirme en le bordant et en lui faisant la popotte. Quel déshonneur… Ce n’était pas
franchement la façon dont elle s’était représentée la féroce lutte terroriste dans la clandestinité.

Les premières lueurs de l’aube pâlissaient déjà le ciel à l’Est. Europe alla jusqu’au balcon et observa dans la longue-vue près de la rambarde. Elle y vit Viviane dans un lit confortable, sur un oreiller de plumes, le torse et l’épaule bandée. Lors du sauvetage de Noâz, Europe avait eu le temps d’entrevoir Adal porter secours à la Grande Prêtresse du pacte d’Ailrun. Celle-ci n’était donc pas morte et survivrait probablement à ses blessures… Même si tuer Viviane n’avait pas été son objectif premier cette nuit, Europe n’aurait pas été mécontente que celle-ci périsse dans le feu de l’action. En outre, seule l’agitation qui animait Ailrun après cette bataille, empêchait son regard de se tourner vers la Cabbale… Dès que ce ne serait plus le cas, la tribu réunifiée s’apercevrait que la Tour des Anges était visible, que la Clairière était occupée par Europe, et alors… la vraie bataille commencerait.

La sorcière se leva et revint au chevet du jeune Comte, afin de lui éponger le front avec un linge humide et frais. L’adolescent balbutiait toujours des propos inintelligibles dans son sommeil enfiévré. Délesté de ses fards divers ainsi que de ses vêtements idoines à la haute et bonne société, un Noâz enfin naturel apparaissait; et ce n’est qu’alors, qu’Europe pouvait entrevoir sa véritable apparence physique. Il était encore dans l’adolescence et son visage continuait de porter ces traits et expressions souvent juvéniles… mais pour le reste, c’était déjà un homme. Un homme à l’enfance marquée par une vie de plein air et de labeur comme en ont les petites gens, qui forge le corps, muscle les membres, faire croître la cale sur les mains. Plus elle apprenait à le connaître, plus elle le découvrait, et moins Europe comprenait comment Noâz ait pu se faire passer publiquement pour son frère Amaël, et entretenir l’illusion aujourd’hui encore sans que nul nobliot ne se doute de rien. Selon elle, cela ne pouvait s’expliquer que par l’artifice des toilettes et maquillages divers, qui avaient seuls pu parvenir à dissimuler la vérité; car jamais elle n’avait trouvé les deux frères plus différents l’un de l’autre qu’en cet instant… Noâz ne ressemblait pas à son jumeau, cet empaffé de dindon capricieux tout en fanfreluches, avec sa voix précieuse et ses manières efféminées de petit bourgeois étriqué. Oh, peut-être avait-il à la rigueur la même note d’hystérie dans la voix, lors d’une violente colère ou d’une panique intense… Mais c’est tout. Pour le reste, il en était très dissemblable. L’angle de ses sourcils par exemple, était légèrement plus incliné. Ses cheveux étaient légèrement plus lisses. La courbe des ailes de son nez, légèrement plus fine. Il avait des mains de travailleur, ô combien différentes de celles de cette créature mondaine d’Amaël qui n’avaient jamais touché de leur vie un outil de travail manuel. Il portait sur son visage une aura bien plus digne, à mille lieues des expressions d’enfant gâté d’Amaël. Et surtout, leurs regards... Leurs regards étaient très différents. Reflets de souhaits, de valeurs, de modes de vie, d’expériences, de personnalités antithétiques.
Ces détails, auparavant inaperçus à l’époque où elle se faisait berner comme tout le monde, sautaient à présent aux yeux d’Europe; et maintenant qu’ils lui paraissaient si flagrants, elle avait du mal à croire que personne d’autre ne s’en apercevait.

Elle resta à son chevet de longues heures. Le soleil était presque à son zénith lorsqu’elle réalisa qu’il s’était réveillé. Ou plutôt: il semblait encore très groggy et ses yeux étaient à peine entrouverts… mais il était conscient. Aussitôt, une tornade se déchaina sur lui.


"ESPECE DE FOUTU IMBECILE IGNORANT!!! Tu as de la purée entre les tempes en guise de cerveau ou quoi?? Je n’ai jamais vu un comportement aussi débile de toute ma vie!! Tu t’es précipité droit dans le piège grossier tendu par Ailrun… N’as-tu donc plus un sou de jugeote? Quand nous avons formé la Cabbale, tu savais que des choses pareilles pourraient se produire; et pourtant tu n’as pas réfléchi une seule seconde! Je savais que le stigmate t’affaiblissait, mais pas qu’il te rendait plus stupide aussi… De sucroît, grâce à toi la Tour n’est plus un endroit sécurisé! Le sortilège qui la rend invisible s’affaiblissait à chacune de mes entrées et sorties; cette nuit, c’était une fois de trop. J’espère que tu es fier de toi… Libre à toi de vouloir te retrouver sur un bûcher demain matin, mais garde à l’esprit que je m’y retrouverais également si tu ne calmes pas un peu tes pulsions de gamin pré-pubère! Alors refais-moi encore UN SEUL coup foireux de ce genre et l’alliance se passera définitivement de toi, que tu le veuilles ou non! Il faut que tu comprennes un truc, foutu crétin: nos sorts sont liés désormais, sous le symbole de la Cabbale. Ce soir, tu as risqué son existence même, mais plus important, tu as risqué nos deux vies! Et quand on attente à ma vie, ça se passe généralement trèèèès mal! Alors j’espère que tu es prêt à payer le prix de ta connerie, pauvre abruti!"
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Noâz Loewenstein
Fugitif
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Noâz Loewenstein


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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeLun 11 Fév 2013 - 20:21

Dague tirée, Noâz assénait de grands coups contre les attaques aquatiques, fendait l’air et l’eau, criait aux esprits de Diefenbach toute sa haine ! Il ne pensait plus à sa mère, plus à la Cabbale, plus au Pacte, il ne pensait plus à rien. Il se battait pour survivre, envers et contre tout. L’abîme s’ouvrait et l’aspirait. Noâz voyait les remparts ondulant se refermer sur lui, iris infernale qui présageait la fermeture éternelle de ses paupières. Mais alors qu’il disparaissait, une main puissante le tira hors des flots. Noâz fut emmené loin au-dessus de l’étang. Le jeune homme observait son sauveur, les larmes mêlées à l’humidité de son corps. Sa silhouette était immense, hâve et sombre, de ses mains au cuir décharné, il tenait fermement Noâz et ses grandes ailes aux plumes fuligineuses battaient avec grâce pour les élever bien au-dessus de la cohue. Cet ange noir, Noâz le reconnut. Le protecteur des Loewenstein. Le messager. Ensemble ils volèrent de longs instants, Noâz ne sentait plus le froid, ne sentait plus la douleur, il ne sentait plus rien. Dans les bras de la Mort, il se laissait porter où elle voudrait bien l’emmener.

C’est au pied d’un arbre que tous deux atterrirent avec la délicatesse d’une plume, dans un brouillard sombre. Noâz observa alentours et il lui semblait que ce devait être non loin de la Clairière. Il ne pouvait se rendre compte qu’il s’agissait de l’arbre au pied duquel Alicia avait jadis fait le serment de détruire la tribu d’Olrun. L’ange n’était plus là. Il n’y avait personne et pourtant, il entendait une voix.


    « Je crains que l’Homme nouveau ne soit en train de perdre sa place ici… Nos sœurs semblent oublier que si notre tribu existe, c’est qu’une fille d’Odin a un jour refusé les coutumes et a décidé de suivre un autre chemin, plus dangereux, mais avec l’espoir d’une autre lumière. La flamme d’Olrun s’est ternie… »


Noâz reconnaissait la voix de sa génitrice.

    « Je le clame : je vais faire trembler la terre et une faille incommensurable va bientôt nous séparer. Je ne peux vous dire combien seront de mon côté. Mais sachez que même seule, je saurai me battre. »


Le jeune homme eut un frisson. Il trouvait en cette femme tout ce qu’il voulait devenir. Cette assurance, cette droitesse, ce pouvoir… Il l’admirait et regrettait chaque fois qu’il y pensait de n’avoir pu mieux la connaitre.

    « Moi aussi, j’aurais aimé que nous marchions ensemble. Je pense que tu n’es pas une mauvaise personne Europe. Tu t’es simplement égarée et il est à présent trop tard. Dans la sombre jungle de l’Humanité, tu es perdue… »


Et si Noâz n’avait pu la connaître c’est bien parce qu’Europe la supprima par deux fois. Europe était un ennemi bien étrange, incompréhensible. Elle s’était révélée être la seule à pouvoir lutter contre Alicia et pourtant elle ne le put jamais véritablement. Elle était antagoniste à Alicia, et pourtant très semblable… Elles avaient toutes les deux ces marques ineffables sur leur visage, dans leur voix, pas celle du temps ou de l’âge bien qu’y étant étroitement lié, les marques de la sagesse, non pas la sagesse qui s’apparente à une sérénité plate, la sagesse comme trésor gagné à la pointe ensanglantée de l’épée, celle qu’on arrache du poitrail du dragon. Elles avaient fait bien pire que la guerre. Elles avaient déclaré la guerre. A elles deux, elles étaient probablement à la source d’autant de morts que l’Inquisition.

D’un coup toutes les plaies de Noâz se rouvrirent. La tête se mit à lui tourner. La douleur lui donna la nausée. Ses oreilles bourdonnaient, ses yeux lui brûlaient, sa gorge se resserra. Il tomba sur le sol humide de la forêt et se réveilla à côté d’Europe. Encore ému d’avoir entendu la voix de sa mère et trompé par le contre jour de la pâle lumière du matin, il crut un instant voir Alicia. C’est lorsqu’elle se retourna vers lui pour le réprimander qu’il reprit pleine conscience d’où et avec qui il était. Elle lui parla comme à un enfant. Comme à son enfant. Noâz détourna son regard du sien, la laissant déblatérer. Il savait le mal qu’il avait fait. Mais elle ne comprenait rien. Il s’en voulait terriblement d’avoir été si faible. De l’avoir mise en danger. Il aurait préféré qu’elle le laisse mourir. Il n’aurait pas eu à affronter cette colère démesurément légitime. Son orgueil lui faisait bien plus mal que toutes ses blessures. La tristesse profonde qui le tiraillait ne faisait qu’augmenter à mesure qu’Europe l’incendiait et avec elle toutes les douleurs empiraient. Les yeux de Noâz se révulsèrent.

Le soir, Europe était prostrée dans les ténèbres devant la boule de cristal de Teguhan, elle regardait dans la sphère le reflet de Noâz au balcon. Elle semblait inquiète. Sa tour était visible, son associé malade, ses ennemis devenaient plus forts à chaque instant. Et son précieux Livre des Anges n’était d’aucune aide si aucune intention ne l’animait, et précisément, il n’y avait plus d’idée… Noâz, sous le ciel menaçant, l’œil rivé sur la lentille de la longue vue, scrutait l’intimité de Forbach. L’ingénieux mais complexe système de molettes lui permettait d’accéder aux plus infimes détails. Mais Noâz n’était pas là pour faire du voyeurisme. Il dirigeait lentement l’engin vers le château : plusieurs sorciers et sorcières du Lys Noir rentraient chez eux. Ils étaient groupés et semblaient parler à voix basse. Noâz observa les fenêtres des chambres. Alexandrine manipulait une robe blanche que Noâz reconnut rapidement comme étant l’habit de cérémonie d’Olrun. Il braqua alors la longue-vue sur le village et l’orée du bois. Comme il le supputait il aperçut des sorcières de la tribu d’Olrun pénétrer la Schwarzwald. Le Pacte d’Ailrun allait se réunir. Probablement aux Sous-sols, les sorcières se dirigeant vers la forêt allaient chercher le passage secret y menant.

Noâz quitta le balcon en se massant les tempes. Il alla s’assoir non loin d’Europe.


« Le sanctuaire…
C’est depuis toujours la force du Lys Noir, de la tribu d’Olrun, de notre Cabbale à présent : un occultum très bien dissimulé, un refuge infaillible…

Il n’y a qu’à nous observer. Nous sommes en difficulté. Si notre attentat contre le conciliabule du Pax Humanum a porté des fruits inattendus, il ne faut pas se leurrer, nous sommes mal. Mon stigmate me tue, je suis faible, ma seule valeur ajoutée est mon statut de Comte, et l’inquisition commence à douter très sérieusement de moi depuis ta petite diversion au château l’an dernier... Tu aurais mieux fait de me laisser mourir à Diefenbach… La Tour est désormais visible et les sorcières du Pacte d’Ailrun ne tarderont pas à revenir à la Clairière une fois les températures plus clémentes. Sans sanctuaire nous ne sommes rien…


A défaut de devenir plus fort que son ennemi, il faut affaiblir ce dernier plus que soi-même. Mais le plus ingénieux reste la stratégie du vampire : prendre la force de sa proie…

« J’ai une idée Europe…

Pardonne cette métaphore boueuse mais parlons de volaille veux-tu ?
Lorsqu’on a un poulailler, il faut le protéger des prédateurs. Que ce soit la belette ou le serpent, s’il y a un trou, une faiblesse dans la cage, le prédateur s’infiltre – que ce soit la belette ou le serpent -, c’est terminé. Dès qu’un seul de ces dangers a percé, il faut déplacer le poulailler.

Le sanctuaire du Lys Noir est mon poulailler. La tribu d’Olrun est le serpent. L’inquisition est la belette. La tribu d’Olrun infiltre le Lys Noir : le serpent est dans le poulailler… C’en est fini de ce sanctuaire… Mais quitte à perdre son poulailler, lorsque – comme dans notre cas – nous ne voulons plus ni poule, ni serpent, il suffit d’inviter la belette, qui se délecte des deux espèces…

Je m’explique : nous voulons affaiblir le Pacte d’Ailrun ? Nous devons commencer par supprimer leur sanctuaire. Sans point ésotérique cardinal, une tribu s’affaiblit et meurt. Il faut livrer le sanctuaire du Lys Noir à l’inquisition. Je suis conscient que nous n’en retirerons aucun bénéfice direct. Mais nous affaiblirons le Pacte. En premier lieu ils penseront à retourner ici, mais nous ferons circuler une rumeur que la logique intuitive rendra si crédible que nulle vérification ne sera nécessaire : l’Inquisition a trouvé le sanctuaire de la tribu d’Olrun, dans la forêt. Nous n’avons plus rien à perdre…


Noâz resta pensif une minute. Il proposait là de brûler l’une des plus grandes prouesses jamais faites par Alicia, un monument d’ingéniosité. Quel genre d’héritier était-il ? Un héritier aristocratique ? Fier de son sang et plongé dans la contemplation de son honneur familial passé ? Non. Il était un héritier spirituel. Il avait en lui plus que le sang de sa mère, toute sa verve, son idéalisme et sa folie.

« L’édifice de ma mère est tout bonnement miraculeux, mais s’il faut le sacrifier pour poursuivre son rêve, je sais qu’elle n’aurait pas lésiné. Quitte à en faire… ‘trembler la Terre’... »
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeSam 16 Mar 2013 - 16:51

Le bilan que dressa Noâz de la situation de la Cabbale était bien plus que préoccupant, mais il était surtout réaliste. Europe avait déjà conscience de cet état des lieux alarmant en rabrouant le jeune Comte comme un gamin; mais entendre ses craintes se concrétiser à voix haute était plus angoissant encore.
Pourtant Noâz eut une idée surprenante et très ingénieuse: livrer les sous-sols du château à l’Inquisition. En voyant le sanctuaire de l’ancien Lys Noir pris d’assaut, le Pacte d’Ailrun en déduirait la même chose pour la Clairière, et n’oserait plus s’y réunir. Cela ne maintiendrait pas les Sorcières pour toujours à l’écart de la Tour d’Europe… Mais cela suffirait à les en éloigner, le temps de trouver mieux.

La Grande Prêtresse déchue contint un sourire satisfait à la vue du jeune Loewenstein, qui semblait méditer sur son idée. Il allait livrer à l’ennemi une des réalisations les plus faramineuses d’Alicia, détruisant une partie de l’œuvre de sa mère… mais il avait compris que c’était nécessaire. Europe était ravie de voir que Noâz commençait enfin à comprendre pleinement, ce que signifiait faire partie de la Cabbale et mener un combat terroriste. On était sans cesse ballotté entre vie et mort, comme cette nuit sur le lac. On ne reculait devant rien. On était capable des plus grands sacrifices, presque sans hésitation...
On livrait nos biens les plus précieux à l’ennemi car c’était indispensable à un idéal plus grand.


"Tu vois que ç’aurait été un tort de te laisser te noyer dans l’étang. Même à moitié mort, tu sers encore à quelque chose…" Europe délaissa la boule cristalline de Teguhan pour rejoindre Noâz au balcon. "C’est un plan très intelligent, mais voyons plus loin encore. Il faut qu’on soit offensifs. Si l’on est faibles, on donne une opportunité à l’ennemi de nous atteindre; c’est pourquoi il faut être plus rapides et frapper avant lui. La meilleure défense est l’attaque. (Son regard se porta sur l’horizon, dans la direction de Forbach où se trouvait la Collégiale. Elle réfléchit à voix haute:) Si la prise des sous-sols réussit, les livres des Ombres et du Crépuscule seront confisqués par l’Inquisition. Le Pacte d’Ailrun sera privé de deux grimoires, affolé, sans sanctuaire. Il ne répondra pas à l’attaque de l’Inquisition. Mais celle-ci n’est pas sensé le savoir... Mère Marie-Théodosine et Cassandra de Saint-Loup s’attendront à une riposte."

Europe fixa Noâz dans les yeux. Les idées qui affluaient dans son esprit lui redonnaient du baume au cœur: ils avaient un plan d’action pour tirer partie de la situation. Tant que les ennemis s’entretuaient entre eux, la Cabbale était tranquille. Jamais il n’y avait eu de meilleure application de l’adage « diviser pour mieux régner »…

"Nous allons attaquer l’Inquisition. Celle-ci pensera à une riposte des sorcières et dirigera son attention sur le Pacte d’Ailrun. Plus elle sera dans la ligne de mire l’Inquisition, et moins la tribu réunifiée aura l’opportunité de se réunir, maintenant qu’elle est privée de ses anciens lieux de culte… Cela nous permettra d’affaiblir le Pacte sans blesser physiquement ses membres. Viviane saura qu’elle mettra en danger les siens si elle persiste à les réunir malgré tout."

Cela ressemblait tellement à la Cabbale. Agir dans l’ombre, semer la zizanie, frapper et se retirer… manipuler l’Inquisition pour lui faire croire que l’attaque était signée Ailrun. Tant que les deux clans se regardaient respectivement en chien de faïence, Noâz et Europe restaient saufs.
Celle-ci s’approcha du Livre des Anges, sur son socle au centre de la pièce, et tourna les pages jusqu’à ce qu’apparaisse un texte illustré présentant le croquis d’une silhouette nimbée de flammes, bras ouverts, cerclée d’un pentacle constellé d’inscriptions hébraïques.


"J’ai découvert cette page il y a quelques temps. Voici le séraphin Lehahiah, que nous invoquerons pour attaquer la Collégiale."

La Grande Prêtresse déchue se tourna vers le jeune Comte afin de connaître son avis. Elle lut l’approbation sur son visage mais, avant même d’avoir pu prononcer un mot, le jeune Loewenstein se plia en deux sous l’effet de la douleur. Europe l’aida à rentrer dans la pièce et s’allonger sur le divan.

Le stigmate, encore et toujours.
Il ne servait à rien de se voiler la face: Noâz était agonisant. Ses blessures récentes dans l’affrontement de Diefenbach auraient peut-être raison de lui.

Les mains de la sorcière effleurèrent doucement la marque rouge du sceau de l’Ange qui ornait son front, sans aucun relief, comme incrustée dans la peau telle une tâche de naissance. Elle avait connu un homme l’année passée, qui, épouvanté de l’apparition du stigmate sur lui, s’était scalpé la peau du front pour tenter de faire disparaître la marque. Lorsqu’il avait retiré ses divers bandages, c’était pour constater que le sceau vermillon ornait désormais sa chair même, intact sur la plaie purulente…
L’homme était mort en même temps que les autres, sanctionné par Anaël. Malgré cela la peur du stigmate et de la sentence qui lui était liée, restait présente chez tous les survivants, puisqu’ils étaient des cadavres en sursis… Fut un temps, Europe avait fait partie de cette catégorie de personnes, puis s’en était exemptée. Mais elle se remémorait sans peine la crainte que lui avait inspirée cette période.


"Et toi?" murmura-t-elle dans un souffle. "N’as-tu pas peur… peur de mourir au solstice prochain?"

Ses mains volèrent sur le front de Noâz, écartant ses mèches sombres avec une infinie délicatesse, pour ne provoquer aucune douleur malgré l’hyperesthésie. Si près, elle distinguait chaque détail du stigmate, de ses cheveux, de sa peau.

"Et si le miracle demandé par l’Ange, c’était vraiment la réconciliation universelle que souhaitent le Pax Humanum et le Pacte d’Ailrun? Et si… et si le miracle, c’était la Paix?"

Sa voix n’était plus qu’une ombre. Une évanescence dans une mer d’obscurité.

"Moi… Je suis à l’abri des foudres d’Anaël… Je pourrais continuer à lutter pour retrouver mon trône même après le solstice… Mais toi? Il se pourrait bien que cette Paix contre laquelle tu luttes avec tant de vigueur, soit ta seule planche de salut…"

Elle ne savait pas pourquoi au juste elle lui disait cela. Peut-être pour le tester. Ou lui en faire prendre pleinement conscience. Ou simplement pour exprimer à voix haute une vérité sous-jacente mais tangible… et qui amenait nécessairement à la question évidente:

"Que fais-tu ici, Noâz?"
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeDim 17 Mar 2013 - 21:13

Le cheval d'Elena était une bête très courageuse et très puissante qui avait à plusieurs reprises prouver son efficacité quand Elena était demandé de manière urgente. Pourtant aujourd'hui, il ne devait pas être assez en forme. La jument semblait trainer de la patte, car la cadette des Mirova n'arrivait pas assez vite à la Tour des Anges. Le repère de la Cabbale n'était pourtant pas si loin que ça du Manoir et malgré ce fait, le voyage semblait une éternité insoutenable dans laquelle Elena ne ressentait rien d'autres qu'une peur qui lui rongeait le ventre violemment.

Un peu plus tôt au Manoir, lorsque le messager était apparu, alors qu'Elena posait des fleurs dans un vase pour les porter à sa future belle sœur pour qu'elles les comparent aux autres, elle avait tout lâché dans un fracas de verre et d'eau. Le messager avait glissé quelques mots affolant lui indiquant qu'elle était demandé d'urgence à leur repère. Noâz y agonisant du fait du stigmate et d'une attaque qu'il avait subit et dont Elena n'avait pas encore eu connaissance. Les sangs retournés, la jeune femme ne pris même pas le temps de se changer, ni même de prendre un manteau chaud qui était nécessaire ces derniers temps. Elle avait demandé à la hâte qu'on l'excuse auprès d'Elisabeth. Une affaire de la plus haute importance la retenait. Courant à perdre haleine à l'écurie en passant par le passage secret, elle grimpa sur son cheval après y avoir poser à toute vitesse la scelle.

Et à présent elle galopait à vive allure pour rejoindre son Meneur. Elle se posait milles questions sur cette attaque dont elle n'avait pas eu vent, et sur son état de santé actuel. Le stigmate le tuait à petit feu depuis longtemps et les recherche pour le retirer n'avait pas aboutie. Alors elle fonçait, sans même savoir à quoi elle pourrait être utile. Peut-être qu'Europe avait une solution après tout? Cette vieille peau avait toujours été un serpent vicieux, connaissant sûrement d'infâmes magouilles qu'ignorait la trop jeune Elena.

En se rapprochant de la Tour, Elena laissa son cheval en plan, ne prenant même pas le temps de le sangler à un arbre. Cela n'avait pas tellement d'importance pour l'instant. Marchant à grands pas, tentant parfois de courir parmis les feuillages et les branches, elle se griffa aux ronces et s'égratigna au contact des branches qui venaient la fouetter sur son passage. Elle se maudit de porter cette fichue robe qui se prenait partout dans la moindre petite épine d'orties.

La Tour des Anges lui apparut enfin, mais en partie visible. La magie qui l'enveloppait mourrait lentement, à chaque passage, à chaque entrée. Et lorsque Elena entra, la magie perdit encore un peu plus de son sort d'invisibilité. Cela mettait en danger Noâz un peu plus, mais la sorcière n'avait pas d'autres choix, elle avait été mandé. Grimpant les escaliers doucement, pour ne pas faire souffrir Noâz avec ces pas. Elle tentait de reprendre son souffle mais lorsqu'elle aperçu enfin Noâz, elle vit Europe, les doigts lissant méticuleusement ces cheveux. Elena rata un battement. Que faisait-elle cette vieille carne? Raidie, Elena se racla la gorge, sourcils froncés, fixant Europe, avec un regard gonflé de reproches.

"On m'a avertit que Noâz était souffrant."

Elena se rapprocha, pouvant observer une partie des blessures infligées pendant l'attaque à l'étang. Noâz était allongé, le front transpirant, laissant cette marque si visible, rougir sa peau.

" Que lui avez-vous fait? Il est couvert de blessures? Écartez vous de lui, que je le soigne."

Sans gêne cette fois, Elena laissa la précaution de côté, Noâz était bien trop mal en point pour qu'elle ménage ces sensations, il était déjà inconscient. Elle s'imposa à côté d'Europe et déboutonna sa chemise sans délicatesse, pour laisser apparaître les hématomes, les contusions ça et là. Les yeux ronds, Elena regarda Europe de travers.

"Si ce n'était pas sa volonté de rester allié à vous... Que lui est-il arrivé? Il vaudrait mieux pour vous que vous ayez une bonne explication."

Le temps n'était pas aux explications pourtant. Si Elena n'avait pas de réponse tout de suite cela lui importait peu, par contre elle devait le soigner. Plaçant une main au niveau de son front et une sur son abdomen, la jeune femme inspira profondément pour tenter de se concentrer. Les sorts de guérisons lui avait toujours demandé beaucoup d'efforts. Elle ne parla plus qu'à voix basse murmurant les incantations nécessaire pour laisser ses yeux se teindre. Ses mains irradiaient une chaleur agréable qui lentement pénétrait le corps du blessé pour le guérir.
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeJeu 21 Mar 2013 - 2:16

"Tu ferais mieux de baisser d’un ton, petite sotte, si tu ne veux pas que je m’énerve" siffla Europe avec animosité.

La Grande Prêtresse déchue n’appréciait guère d’être admonestée dans son propre logis –si toutefois on pouvait qualifier ainsi l’édifice qui lui servait de refuge. Elle tenta de se remémorer sa dernière rencontre avec Elena Mirova. Le souvenir lui parut si lointain qu’elle peina à le faire resurgir de sa mémoire… C’était dans le cimetière, au début de l’été. Une averse tombait sur Forbach et les deux protagonistes s’étaient rencontrées devant les sépultures. L’entrevue n’avait pas très bien tournée, Europe ayant cherché à pousser le vice inhérent en chaque être humain, pour faire en sorte qu’Elena accepte un marché: se venger d’Adal en échange d’informations sur le Lys Noir. Choquée, la jeune noble avait fui sans trahir son Meneur.

Ce même Meneur qui aujourd’hui, l’avait amenée ici. Depuis le début, Elena le suivait. Lors de la création de la Cabbale, elle l’avait suivi. A présent qu’il était mourant, elle accourait. Europe ignorait la nature exacte de la relation qui unissait Noâz et la jeune noble; mais elle en concevait une amertume intense, qu’elle-même ne comprenait pas bien. Pourquoi voir Elena toucher le visage du jeune homme, ses mains effleurer son corps, lui procurait-il autant de fureur? La sorcière s’aperçut qu’elle avait le souffle court et les joues rouges. Sans même s’en rendre compte, sa main s’était approchée d’un chandelier en fonte posé sur un meuble à proximité, prête à en asséner un coup sur le crâne d’Elena.

Que lui arrivait-il? Europe n’avait jamais détesté la jeune noble. Son sort l’indifférait, en vérité. Mais depuis que cette péronnelle tournait autour de Noâz… elle ne lui inspirait plus que de la férocité vengeresse. Surtout en arrivant de la sorte, dès qu’on la convoquait, tel un chien en remuant la queue. Europe avait éminemment besoin d’Elena, c’était elle qui avait pris les dispositions pour la faire venir à la Tour, et pourtant, elle aurait paradoxalement préféré que la jeune noble ne vienne jamais. L’incohérence de ce désir la frustra encore plus.


"Tu es bien insolente de m’accuser de la sorte. Penses-tu être blanche comme neige? Où étais-tu lorsque Noâz avait le plus besoin d’aide?"

Elle entreprit alors de raconter à Elena ce qui était arrivé: le piège organisé par le Pacte d’Ailrun, la bataille sur l’étang, Noâz qui ne s’en était tiré que de justesse, grâce à l’intervention d’Europe et son tir ayant logé une balle dans l’épaule de Viviane.

"Il était déjà extrêmement fragilisé par le stigmate. Le dernier affrontement l’a achevé, il agonise… C’est à peine si il a pu se lever ces dernières heures, alternant des états fiévreux et comateux. Le stigmate le tuera dans une poignée de jours."

Europe dépeignait la situation de façon crue pour accentuer la détresse d’Elena face à ces révélations. Il fallait que la jeune noble soit mortifiée face à la mort de Noâz, pour que le plan fonctionne.

"Mais il existe un moyen de le sauver… (La sorcière se leva et désigna le grimoire de Lorenzo posé sur son piédestal, au centre de la pièce. Encore et toujours des cartes tirées de sa manche). Transférer son stigmate à quelqu’un d’autre. Je l’ai déjà fait l’an passé grâce au Livre des Anges, en transférant mon stigmate à Océane Castelli. Tu dois t’en souvenir, puisqu’elle faisait partie du Lys Noir…"

Elena se trouvait donc dans la même pièce que la femme qui avait tué une de ses consœurs. Techniquement, elle se trouvait également dans la même pièce que la femme qui avait laissé sa mère se faire capturer sur le parvis de l’Eglise en 1640… et de la femme qui avait commis bien d’autres méfaits préjudiciables à Elena et sa tribu. Mais de l’eau avait coulé sous les ponts depuis. Beaucoup d’eau. C’était inimaginable mais aujourd’hui, les deux femmes faisaient partie de la même alliance et faisaient front pour sauver un même homme.

"Ça ne me plaît pas plus qu’à toi de t’avoir fait venir, crois-moi… Mais n’ayant plus de pouvoirs, je ne peux réaliser le sortilège qui permettra à Noâz d’être délivré de son stigmate. C’est pourquoi j’ai fait appel à toi. Aujourd’hui, nous devons mettre nos rancœurs de côté pour le sauver. Si nous n’en sommes pas capables, il le paiera de sa vie. A toi de choisir."


Europe laissa quelques instants à Elena pour digérer l’énormité de ces révélations. Elle fait exprès de mettre une grande pression sur ses épaules pour que la jeune noble se décide vite. Elle rajouta ensuite:

"Comme tu l’as compris, cela signifie que tu vas condamner quelqu’un à cette gangrène qu’est le stigmate… Le choix de la future victime n’est peut-être pas aisé, alors j’ai déjà une proposition à te soumettre pour te faciliter la tâche de la réflexion. Pourquoi pas ce David Geisler? Cela affaiblirait l’Inquisition et le Pacte d’Ailrun, à travers Narcissa de Saint-Loup. Si nos ennemis sont affaiblis, c’est la Cabbale qui en sort renforcée… et Noâz avec elle."


Europe s’assura d’être certaine que l’ombre la dissimule, avant d’esquisser un grand sourire morbide. Elena l’exaspérait, avec ses froufrous, son insouciance, sa volonté de bien faire, sa pseudo-joie de vivre. Il était temps qu’elle comprenne ce que signifiait être un terroriste. Aujourd’hui elle allait être confrontée à ce dont Europe était confrontée tous les jours depuis des années: la nécessité de faire des choix, tout en sachant que chacune des options possible répandra le mal tout autour. La sorcière se délectait du dilemme qui taraudait la jeune noble, et le fait de passer pour une meurtrière aux yeux de sa famille, aux yeux de ses amis, de Luc de Rohan… En fait, elle se délectait de sa souffrance.
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeLun 25 Mar 2013 - 18:13

Europe était égale à elle même, toujours cet égo si énorme qui lui gonflait les chevilles et l'ancrait au sol. Un paon fier mais sans plus aucune plume, voilà ce qu'elle était. La noble pensait faire peur à Elena en la menaçant mais que pouvait-elle bien lui faire? Elle faisait partie de la Cabbale et qui plus est elle possédait encore ses pouvoirs contrairement à cette poule sans plus aucune classe. Elena se sentait nerveuse, la présence d'Europe ne lui avait jamais plu, certes, mais la voir le toucher comme elle l'avait fait avant lui mettait le feu à l'estomac. Elle préférait s'occuper de Noâz, plutôt que de se torturer les méninges à trouver une explication qui lui rendrait son calme. Les mots persiffleurs de prêtresse déchue, cette voix, cette assurance si arrogante lui donnait la nausée.

"Tu es bien insolente de m’accuser de la sorte. Penses-tu être blanche comme neige? Où étais-tu lorsque Noâz avait le plus besoin d’aide?"


Elena cessa de soigner son Meneur et se tourna vers Europe.


"Comment osez-vous!"


Elle se redressa.

"J'ai toujours protéger Noâz, je n'ai pas à souffrir d'une quelconque accusation, surtout venant de votre part. On ne m'a même pas avertit de quoi que ce soit avant aujourd'hui."


Europe expliqua en détails ce qui c'était passé et Elena trembla. Est-ce que la fierté d'Europe avait été si dure à brisée pour qu'elle fasse appel à Elena pour venir en aide à Noâz? Elle aurait aimé le dire mais savoir que Noâz était proche de la mort lui cloua le bec. Europe, sournoise comme le serpent qu'elle était, parla d'une solution. Le transfert de son stigmate. Les yeux d'Elena fixait Europe, sans une réelle expression, marque du fait qu'elle tentait de se contrôler, pour attendre la fin de cette proposition aussi malsaine que tentante.

Et voilà qu'Europe se dévoilait sans vergogne, rappelant à Elena la mort d'Océane... Oui cette mort avait été marquante, cette histoire de transfert avec soulevé le dégout chez Elena qui gardait cette droiture habituellement. C'était la seconde fois qu'Europe cherchait à corrompre Elena et encore une fois il s'agissait de punir une vie pour satisfaire sa propre personne. Évidemment, Europe avait également besoin de Noâz, pour garder auprès d'elle les quelques membres du Lys qui s'était joint à la Cabbale.

"Ça ne me plaît pas plus qu’à toi de t’avoir fait venir, crois-moi… Mais n’ayant plus de pouvoirs, je ne peux réaliser le sortilège qui permettra à Noâz d’être délivré de son stigmate. C’est pourquoi j’ai fait appel à toi. Aujourd’hui, nous devons mettre nos rancœurs de côté pour le sauver. Si nous n’en sommes pas capables, il le paiera de sa vie. A toi de choisir."

Europe parlait vrai. Pour la première fois de sa vie, elle donnait des propos qui trouvaient écho chez Elena. Parce qu'il s'agissait de Noâz, parce qu'elle était la seule à pouvoir accepter de sacrifier son âme pour décider du sort de son Meneur. Elle n'était pas un dieu, mais elle avait le pouvoir de sauver la vie d'un être qui lui était probablement plus que cher. Aujourd'hui elle pouvait prouver une fois de plus à Noâz qu'elle était là pour lui, qu'elle était toujours fidèle aux idéaux qu'il visait, que sa vie à elle n'avait pas d'importance si il n'en était pas le centre. Elle avait été fidèle à Alicia et le serait à son fils. Le seul des trois qui méritait qu'on le suive. Le seul qui avait cette attitude de Meneur.

Elle avait une dette à payer à son Meneur, celle qui avait rendu à Elena sa voix, ses esprits. Aujourd'hui c'était peut-être à elle de le délivrer de cette ange qui lui rongeait le corps. Pourtant quand elle regarda le visage d'Europe, Elena refusait d'accepter. Faire confiance à cette femme aurait pu être une très grosse erreur. Et même si la vie de Noâz était en jeu, même si il ne lui restait peut-être plus que quelques jours, était-ce bien responsable de suivre cette voix que l'ancienne prêtresse avait semblait-il tracé depuis si longtemps? Tout semblait trop calculé, trop prêt. Europe n'avait besoin que de pouvoirs assez puissant pour mettre en œuvre son plan. Le reste était déjà tout calculer. Même le choix de la victime. David Geisler.

Ce nom fit froncer les sourcils d'Elena. Elle se tourna vers Noâz. Europe continuait d'expliquer pourquoi David Geisler était une cible parfaite. Oui une cible parfaite... Très sérieusement, elle ne nommait pas ce chien de l'Inquisition au hasard, elle semblait en savoir beaucoup sur lui et si Europe Eléanora-Sun avait choisit ce garçon, ce n'était probablement pas pour rien, ce n'était pas uniquement parce qu'il était un atout en moins dans le jeu de cartes si il tombait. Elle savait sûrement qu'Elena avait une certaine rancœur envers lui.

Noâz était fiévreux, la sueur perlait lentement contre ces tempes. Les cheveux graissés par cette chaleur qui le clouait au lit dans cet état comateux, il n'était plus ce jeune garçon sortant du milieu paysan, il c'était élevé à un rang bien supérieur, il avait eu le pouvoir entre les mains et on le lui avait arraché, dans l'espoir d'instaurer la paix. Tout ceci n'avait fait qu'aggraver la situation et les trois clans c'était métamorphosé. L'inquisition restait intacte, le Pacte d'Ailrun était un mélange hasardeux et explosif entre Lys et Olrun et la Cabbale était un microcosme encore plus instable que le Pacte d'Ailrun. Pourtant cette micro entité causait à elle seule bien plus de dégâts que les deux autres réunis. Leur force venait de ce désir commun de restaurer les tribus originelles. Même si Elena aspirait à ce droit à la paix, elle avait toujours pensé qu'un retour à une unique tribu de sorcière était une folie utopique qui ne pourrait jamais naître. Pourtant, elle avait vu le jour, elle avait éclot, et cette infâme engeance, qui n'avait ni queue ni tête, devait périr.

Passant ces doigts dans les mèches en désordre, Elena semblait marquer son territoire. Ce n'était pas à Europe de s'approcher de lui de la sorte. Passant le revers de sa main sur cette joue marqué par la cicatrice du courage, la cadette des Mirova se redressa, elle faisait toujours dos à son interlocutrice et laissa quelques secondes se passer pour mettre à rude épreuve les nerfs de cette vieille peau. La décision était très dure à prendre, pourtant Elena savait ce qu'elle devait faire. Elle chérissait trop ce qui était juste, elle ne pouvait pas passer outre ces principes...

"Je n'arrive pas à croire que vous essayiez de faire passer ça pour un acte de bien et bon sens. Cette logique si pernicieuse qui vous caractérise ne s'éteindra donc jamais."

Elle se retourna vers la prêtresse déchue et sourit, d'un sourire malsain. Europe ne savait pas de quoi Elena était capable, elle ne connaissait pas ses limites. Oui, la décision d'Elena était prise, et quelque part elle s'en réjouissait par avance. Elle avait la sensation de damé le pion à Europe en jouant d'une manière surprenante.

"Faisons ça."

Europe voulait qu'Elena l'aide. Elle ne l'aidait pas, elle ne faisait pas cela pour l'aider, elle faisait ça pour Noâz. Parce qu'il fallait un Meneur au Lys et que personne d'autre n'avait la carrure. Si Noâz vivait, il y aurait un adversaire suffisamment puissant face à Europe. La cabbale continuerait d'avoir cette légitimité fragile. Elle réagissait seulement de façon imprévisible. Sans le savoir elle rendait ce sourire morbide à Europe. Parce qu'elle ne lui laisserait pas Noâz. En le sauvant, Noâz lui serait redevable, elle pourrait enfin avoir un peu plus de son attention et elle pourrait peut-être enfin comprendre ses propres sentiments et leur nature. Etait-ce uniquement de la simple servilité? Ou était-elle lié à lui de façon plus puissante? Pour l'instant cela importait peu, mais Elena savait que les réponses viendraient bientôt. Et surtout, elle savait qu'elle oeuvrait pour quelque chose de plus grand que sa personne. C'était pour ça qu'elle avait la force de dépasser ses propres principes. Et peu importait si Geisler en crevait. A cet instant, elle tenait sa vengeance, une vengeance pour sa mère, pour tous les méfaits de l'inquisition, pour toute cette humiliation que ce fils de l'Inquisition avait voulut lui faire subir.
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Noâz Loewenstein
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeDim 26 Mai 2013 - 23:36

Plume après plume, du bout de ses doigts décharnés, l’ange noir déchirait inlassablement ses ailes. Noâz ne le voyait que de dos. Il était toujours si semblable dans ses apparitions : une grande silhouette féminine et famélique, une robe infinie d’un noir abyssal, fendue depuis le haut du dos jusqu’au bas plissé et traînant pour laisser dépasser ses aies immenses, tout aussi fines, tout aussi sèches et tristes. Noâz pour la première fois se surprit à penser que dans les mouvements lents de la créature, à travers les ondulations éthérées, il pourrait presque apercevoir son anatomie intime. Il se mit alors à éprouver une chaleur juvénile et une froideur mortuaire. Il sentit en lui l’irrépressible pulsion curieuse et sensuelle du jeune homme au corps éveillé, et la répulsion incoercible qu’éprouve tout homme face à la mort incorporée. C’était un corps mort et il en frissonnait, mais c’était un corps de chair et il le désirait. Moins pour ce qu’il dégageait de son esthétique – non sans grâce cependant – mais pour ce qu’il représentait : le visage sculptural de sa mère.

Et quel symbole pour un jeune n’ayant reçu de sa génitrice que du sang et un nom, mais aussi un héritage patrimonial sans égal. Un jeune homme qui avait grandi dans l’amour de cette femme légendaire dont il ne verrait que des portraits jusqu’à son outre-tombe. Mina, sa tutrice, avait réussi à semer en son esprit les germes nécessaires et suffisants à un amour, un honneur et une allégeance sans limite pour l’abstraction de la puissance dans tout ce qu’elle avait de belle et effrayante - comme cet ange - qu’il appelait depuis toujours « Mère ».
Noâz approcha l’ange funèbre. La créature venait d’arracher ses dernières plumes et n’avait plus d’ailes en son dos que les fentes sombres dans sa robe. Il approcha tous ses désirs et toutes ses peurs. Il risqua deux mains vibrantes dans les abysses vestigiales. La robe se mit à frémir, contaminée par la fébrilité du jeune homme, comme secouée par un vent synthèse du vide. L’ange sans ailes ne se retourna pas. Les mains de Noâz caressèrent alors la peau froide, sèche et douce de cette femme sans plus ni vie ni mort, des omoplates aux épaules, puis redescendant la courbe osseuse jusqu’à sa poitrine.

La mort tourna alors enfin son visage vers lui, avec la lenteur des amants qui se regardent pour la dernière fois, plongeant un regard purpurin dans son âme. Noâz, incapable du moindre geste, contempla la créature faire tomber sa capuche pour dévoiler un déluge de cheveux aux reflets violets. Il s’approcha alors des lèvres d’Europe, les larmes d’un enfant perdu dans les yeux. Il ferma ses paupières pour chasser les perles chaudes et humides comme des baisers.

Lorsqu’il les rouvrit, Europe était toujours face à lui, mais son expression était différente, soucieuse. Des yeux humains, une peau tout aussi pâle mais laiteuse malgré la teinte verdâtre des insomnies. Ses boucles violettes n’étaient plus soyeuses mais sèche et erratiques. Ils n’étaient plus dans l’obscurité absolue onirique mais dans la pâle clarté d’une matinée printanière, dans la Tour des Anges. Noâz se sentit en premier lieu extrêmement bien. Europe lui adressa même un rictus proche du sourire qui lui fit douter qu’il était bien éveillé. Puis il s’aperçut du degré de luminosité qui baignait la pièce. Il s’affola. Il cacha ses yeux d’une main et son front de l’autre.


« Tu es guéri » lui dit Europe sans cérémonie.

- Comment ?!

- Transfert… Je ne pouvais pas te laisser comme ça, tu étais mourant. C’eut été mauvais pour nos affaires, nous en avons déjà parlé.

Noâz lui demanda qui avait pris sa place sous le glaive cruel d’Anaël, Europe ne lui répondit pas, simplement que le concerné ne serait pas une grande perte. Noâz ne posa guère plus de questions. Il était sauvé. Il ne comprenait pas vraiment comment, pourquoi, mais il éprouvait un soulagement sans égal et une tendresse pour Europe telle que la chaleur qui le faisait suffoquer dans le rêve. La discussion fut close.

Le jour tombait alors que Noâz accoudé au balcon observait la nuée de corbeaux arracher des morceaux de chaire putride des cadavres qui jonchaient la Clairière au bas de la Tour. De si haut il ne reconnaissait pas les visages, mais il n’en avait pas besoin. Il voyait la couleur des robes maculées de sang. Les blanches et les noires. Et il bouillonnait de rage. Europe lui avait expliqué tout ce combat injuste, irraisonné, égoïste, de Viviane voulant secourir sa sœur Cassandra, l’ennemie absolue des sorcières. Il en voulait aux siens d’avoir suivi si bêtement Viviane. Il s’en voulait de n’avoir pas su protéger les siens. Mais il en voulait surtout à Viviane…


« Si seulement nous pouvions la réduire en cendres… »

- Nul besoin, l’inquisition s’en charge, ne t’en fais pas. Marie-Théodosine semble très obstinée…
Noâz mit son œil à la lunette de la longue vue. Il dirigea son regard sur le parvis où des hommes préparaient des fagots de bois et où la foule commençait à s’amasser.

- Voyons, tu sais tout comme moi que ce genre de parasite résisterait même au feu. Leur union fait leur force. Et Viviane possède à présent les ressources des deux tribus. S’ils ont été capable de prendre les armes pour sauver sa sœur, que feront-ils pour sauver leur Grande-Prêtresse elle-même ?

- Tu oublies qu’ils n'ont plus de grimoires et qu'ils sont dispersés, qu’ils n’ont plus de chef opérant. Le premier est mort, le second est sur le bûcher…

- Tu sais bien Europe que tous sommes remplaçables et remplacés à une vitesse vertigineuse au sein des tribus, surtout au sommet. Réflexe de survie je suppose…


- Ou cupidité humaine… Tu as raison…

- Alors nous sommes faits. Le Pacte d’Ailrun trouvera un moyen de libérer sa Grande Prêtresse, j’en suis sûr. Et dès lors qu’ils seront à nouveau puissants, ils viendront détruire la Tour…


Europe quitta le fond obscur du salon et s’approcha de Noâz avec dans les yeux l’éclat féroce d’un prédateur.

- La Cabbale n’a pas dit son dernier mot.
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeJeu 30 Jan 2014 - 0:36

"Pourquoi?"

Le cri résonna dans la tour des anges, à peine couvert par le fracas de la porcelaine brisée. Il n’y avait déjà pas beaucoup d’objets de décoration en cet endroit, mais à ce rythme-là, il n’en resterait bientôt plus un seul. Europe s’immobilisa, frémissante de frustration et de colère, devant le vase qu’elle venait de projeter au sol et qui avait explosé en mille fragments sous l’impact. Une pièce d’art et de beauté, façonnée au prix de grands efforts, maintenant écartelée et brisée en morceaux… L’histoire de toute ma vie, songea-t-elle avec amertume. Un reflux gastrique acide lui perfora l’estomac.

"Pourquoi? Qu’est-ce que j’ai raté? Où est mon erreur?" marmonna-t-elle en saisissant le Livre des Anges sur son piédestal. Noâz se trouvait dans la pièce, mais Europe semblait surtout se parler à elle-même. Elle feuilleta les pages à toutes volées, sans jamais s’arrêter plus d’une seconde sur l’une d’entre elles, comme si elle attendait que la réponse sorte de l’ouvrage de son propre chef et lui saute soudainement aux yeux. Au fond d’elle, la grande prêtresse déchue savait bien que la réponse à une telle question ne se trouvait pas dans les livres. Aucun texte ne pourrait jamais lui dire pourquoi elle avait raté sa vie à ce point.

C’était un échec, un fiasco total. Malgré tous ses efforts, elle n’avait pu empêcher la Réconciliation. Le phénomène concrétisé par Louisa Zimmerman était en marche et désormais, rien ne semblait plus pouvoir l’arrêter. Pourtant, quelques semaines auparavant, l’idée d’une paix collective était encore hautement improbable… Mais la vérité était là, indéniable: la Réconciliation progressait dans les esprits et les cœurs. Les paroles du Pax Humanum avaient du poids et ses actions encore plus. Pendant le bûcher des sœurs Valdemar, il avait trouvé ce qui lui manquait le plus: un ennemi commun avec les sorcières. Avoir un adversaire commun à abattre était le meilleur moyen de rassembler deux clans d’individus. En la personne de Symphorienne de Lucrèce, ou qui qu’elle prétende être, ils avaient trouvé un élément fédérateur. Et le décès en martyr de Dimitri Zimmerman garantissait à la baronne encore plus de soutien et d’empathie.

En outre le plan d’Europe avait échoué; Alix avait été découverte; la tentative de la Cabbale pour semer peur et confusion dans les cœurs, s’était retournée contre elle. Désormais, Europe et Noâz voyaient jour après jour, de plus en plus de leurs derniers partisans leur tourner le dos et quitter le clan. La Cabbale partait en déliquescence. Les effectifs s’étaient réduits comme peau de chagrin et même Elena Mirova avait quitté les rangs. Désormais la ville entière saluait l’acte de courage d’une sorcière qui, ayant fait disparaître le stigmate de David Geisler, l’avait pris sur elle en un ultime sacrifice. Là était la preuve que les sorcières étaient capables de bonté et de compassion; cet évènement n’avait fait qu’accélérer les choses et hier, les trois derniers partisans d’Europe et Noâz étaient partis.

Ils sentaient venir la défaite inéluctable de la Cabbale et ne voulaient pas être là au moment où elle tomberait, au risque d’être emportés dans sa chute.

De rage, Europe envoya balader le grimoire qui vola dans les airs et atterrit en désordre contre le mur circulaire de la pièce. Cet ouvrage si précieux, contenant des siècles d’expérimentations et de savoirs, qu’elle avait si jalousement conservé et dont elle n’aurait pour rien au monde abîmé la moindre page, ne lui inspirait désormais plus aucune sympathie... Il ne faisait que lui renvoyer à la figure les images de ses propres frustrations. Un tas de feuilles, voilà ce que c’était! Toute sa vie, elle avait été convaincue de l’importance fondamentale de la lecture et des grimoires, mais posséder les plus puissants d’entre eux ne l’avait pas empêchée d’échouer. Même le pouvoir du Gardien ne l’avait pas pu.

Lorsqu’Europe se redressa, elle se retrouva face au miroir encadré d’or et environné de chandelles qui ornait le plan de mur derrière le piédestal du Livre des Anges. Elle maudit aussitôt cet objet innocent qui lui renvoyait un tel reflet. 44 ans… Elle était déjà une momie desséchée, une morte en sursis. Avec ses joues creusées, ses pommettes osseuses, ses cernes immenses, et son teint si livide qu’il en était presque translucide, elle ressemblait à un cadavre. Une vipère ridée aux cheveux en bataille, l’hystérie dans les yeux, frappée par une crise existentielle au pire moment de sa vie. Et la magie avait déserté ses veines comme le sang d’un cadavre, au moment de la sentence de l’Ange…
Sans qu’elle puisse vraiment l’anticiper, ce reflet dans le miroir lui causa un tel choc qu’elle se mit à gémir, puis s’effondra à genoux, les poings sur les tempes serrant des touffes de cheveux secs.

Désormais seuls, Europe et Noâz, tous deux privés de leurs pouvoirs, ne pouvaient plus rien faire sans aide. Il ne fallait pas non plus compter sur une manipulation de l’Inquisition. Même elle semblait sur le point de céder; Cassandra avait repris la tête des troupes et foncerait vers la réconciliation sans recommencer une guerre.

La défaite de la Cabbale  n’était plus une potentialité: c’était une certitude. La seule chose encore inconnue, c’était le moment où elle surviendrait.

Un long moment plus tard, la grande prêtresse déchue se redressa enfin et se traîna jusqu’au balcon. Elle y demeura un long moment à regarder dans le vague. Il n’y avait pas besoin d’observer à travers la lunette pour deviner les forbachois en train de travailler à la Réconciliation, ce miracle qu’ils attendaient tous.


"Dis-moi… suis-je stupide?" Les paroles, cette fois-ci, s’adressaient à Noâz malgré leur aspect introspectif. "Ou incompétente? Ou imprudente? … Quel est mon défaut? J’en ai forcément un… Sinon, comment expliquer cette différence de situation et de réussite entre elle et moi?" La sorcière se retourna pour croiser le regard de son dernier allié. "Qu’avait Alicia de plus que moi, Noâz?"

Europe doutait qu’il ait la réponse à une telle question, plus rhétorique qu’autre chose. Elle se tourna de nouveau vers le balcon et le panorama qui s’étendait à leur vue, au-dehors.

"Ça a toujours été comme ça. Elle regardait droit devant elle comme si il existait un détail évident qu’elle pouvait voir, mais qui était invisible aux yeux des autres. Je pensais que j’aurais pu être capable de le voir si je marchais dans ses empreintes… Mais ce n’est pas le cas. Je ne vois toujours rien."

La colère fit son retour et ses mains agrippèrent la rambarde comme les serres d’un rapace. Elle y mettait tant de poigne que le dos de sa main blanchissait, ses veines bleues gonflées sous l’afflux de sang.

"Je ne peux pas devenir la Grande Prêtresse? Et Viviane peut?"
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Noâz Loewenstein
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeSam 1 Fév 2014 - 14:25

Le départ d’Elena avait profondément marqué Noâz. Certes, il ne l’avait jamais aimée passionnément. Il avait éprouvé un lien intense et curieux et il l’avait employé à rendre la Cabbale et son projet de retour au Lys viables. Au fond elle le savait et acceptait de l’aider. Il n’avait promis aucune merveille et n’avait prétendu aucun mont. Il l’avait laissée se créer sa propre imagination de ce qu’ils étaient, d’une part car il n’était pas apte à savoir ce qu’ils étaient et d’autre part car il n’avait aucun intérêt à la décourager. Il avait senti son désir de l’approcher et il avait joué un jeu somme toute cruel de tiédeur incertaine, tantôt plutôt chaude, tantôt plutôt froide. Il avait tout fait pour qu’elle reste mais rien pour qu’elle l’aime. Elena n’était dupe de rien et si son attachement l’avait liée à la Cabbale plus que les idéaux, la poussant à transférer le stigmate de Noâz sur David Geisler, son humanisme lui avait rapidement rendu la vue, et le jour où elle se sacrifia pour cet homme qu’elle aimait à cœur et pour cet autre qu’elle aimait par principe, elle signait la fin de son contrat tacite avec la Cabbale. Elle fut alors l’instigatrice d’un mouvement de fuite et d’abandon généralisé. Une véritable désertion, une mutinerie.

Au départ Noâz en avait été furieux et il aurait voulu ensorceler Elena et les autres, pour les punir ! Mais cette amertume héritée de sa sombre et violine acolyte ne dura pas. Car il les comprenait tous. Il aurait eu l’autorité suffisante à les retenir, du moins c’est ce qu’il pensait, mais il avait choisi de les laisser partir. La Cabbale n’avait plus aucune chance désormais. Europe avait sombré dans la folie, elle n’était plus apte à prendre ces questions en charge avec la justesse nécessaire et tous les membres de la Cabbale l’avait bel et bien remarqué. Les rassemblements s’étaient faits de plus en plus tendus. Europe était de moins en moins claire et perspicace, voire clairement extrémiste. Les cabbalistes tournaient leurs regards vers Noâz lors des discours de haine de l’ancienne Grande Prêtresse. Et il ne trouvait rien à dire pour sauver la situation. La Cabbale s’était lentement décrédibilisée. Alix avait échoué. Nul ne savait trop ce qu’elle était devenue après le bûcher. Il semblait que le Pacte d’Ailrun ait eu vent de l’affaire mais aucune décision n’avait été prononcée, ni du Pacte ni de la Cabbale. Alix était dans les limbes claniques. Digne représentante de la situation actuelle : plus vraiment dans un clan, probablement reconnue comme sorcière par l’Inquisition, mais tout le monde s’en fichait…

Cassandra elle-même avait finalement affiché la couleur : rien ne l’affectait plus désormais. Dieu sait ce que Louisa Zimmerman avait pu lui dire dans cette désormais mythique maison diplomatique de Rosbrück mais la rumeur disait que l'Inquisition allait progressivement se réconcilier avec les sorcières de toutes les tribus. Forbach semblait pris dans une brume paralysante. En vérité, les guerres décennales qui avaient éclaté de toutes parts avaient peu à peu réduit Forbach en ruines erratiques, puis en rocs épars, en champ de pierres, en dunes de sable gris. Tout avait été balayé, une tabula rasa monumentale où tout ce qui avait été construit avait été détruit, où tout ce qui avait vécu était mort et où tous ceux qui avaient aimés avaient été déçus. Forbach était vide de tout, un nouveau monde, originel et grand où tout deviendrait possible. La triade en guerre avait abdiqué. Symphorienne dans toutes ses manœuvres avait été évincée. Seuls restaient dressés dans les décombres cette tour vestigiale où l’air vicié du ciel de Forbach attaquait l’esprit d’Europe.

C’est l’explosion de porcelaine qui sortit Noâz de sa torpeur. Noâz n’osa pas regarder Europe. Il avait peur qu’elle reconnaisse la désincarnation de son regard. Il n’y croyait plus. Plus du tout. S’il restait ici, ce n’était pas pour la Cabbale. C’était pour Europe. Elle l’avait recueilli dans sa chute, elle avait cru en lui et ses capacités, elle l’avait soutenu et l’avait soigné. Elle avait fait acte de plus d’amour pour lui que personne d’autre avant elle. Alors bien sûr ce n’était pas un amour chaud, ce n’était pas un amour expressif, c’était celui des cœurs froids et lointains, c’était un amour grand et clair, celui des âmes blanches et impures, un amour lunaire qui commandait aux marées de son corps. Car Noâz éprouvait pour Europe un attachement ineffable et inavouable. Pâle et exténuée, les ombres sculpturales de son visage lui faisaient tant penser à cette mère magnifique qu’il n’avait jamais vue, que morte et décomposée. Noâz était fasciné par cette créature et il ne pouvait la laisser plonger sans secours dans l’abysse qui s’ouvrait sous elle. Il devait à son tour lui proposer son aide. Mais comment montrer la lumière à une endormie ?

Noâz ramassa le grimoire maltraité tombé à ses pieds et dont les pages visiblement très anciennes s’étaient arrachées. Le cœur serré il voyait en ce gâchis tout son empire, celui d’Europe et celui de Forbach. Il remit le grimoire sur son support sculpté et se mit à le feuilleter pour essayer de replacer les pages arrachées. Il n’avait jamais osé jusqu’ici regarder ce grimoire si jalousement gardé par Europe. Ce grimoire qu’elle rejetait à présent. Il observait soigneusement les illustrations, le latin classique mélangé à des signes kabbalistiques d’hébreux. Les sorcières dans leur grande sagesse connaissaient de nombreux langages du présent et du passé, nécessaires à comprendre leurs sortilèges. Pour autant les sortilèges pouvaient être utilisés sans qu’on en appréhende la totalité. C’est ce qui arrivait très souvent pour les rituels ancestraux lorsque le langage était perdu. Le Libbru di Angeli puisait notamment beaucoup dans les religions hébraïques et si l’hébreux était maîtrisé par quelques sorcières encore, certains des rituels – tels que ceux des vieilles pages arrachées - étaient composés en un dialecte très ancien proche de l’araméen. Aucune chance pour les sorcières lorraines d’en saisir le sens, ces rituels étaient perdus.

Noâz releva la tête à la mention de sa mère. Il observa Europe, troublé. C’était étrange pour lui qu’Europe parle de cette femme qu’il associait si fortement à l’ancienne Grande Prêtresse, c’était comme si Europe parlait d’elle-même à la troisième personne. Le malaise était d’autant plus important qu’Europe tenait à se comparer à Alicia. Noâz referma le livre et écouta Europe, concentré.


« Alicia avait un but. »

Noâz n’avait pas le ton supérieur qu’on lui reconnaissait souvent. Il était compatissant. Il s’approcha d’Europe, sur le balcon vertigineux.

« Tu as cherché le pouvoir pour le pouvoir. Tu n’as jamais eu de but. On ne peut rien faire sans but. C’est comme avancer dans les plaines en pleine nuit, il faut suivre une étoile pour atteindre sa destination, et non pas suivre la plus forte lumière. Après tout, la lune n’a jamais mené personne nulle part. »

Après une hésitation, il saisit la main fébrile et douloureuse d’Europe.

« Europe, nous ne pourrons plus rien faire ici désormais… La Cabbale s’est disloquée. Le mouvement est mort. Plus personne ne suit notre idéal. Nous devons l’accepter…

Que peut-on espérer à présent ? »
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeLun 3 Fév 2014 - 0:08

"Un but?..."

Sa voix n’était qu’un murmure et ses yeux, de nouveau perdus dans le vague. N’avait-elle pas eu un but, pourtant? Oui… il y avait longtemps. Très longtemps. Mais elle l’avait perdu depuis. Et la vie lui avait fait payer cette erreur au prix fort.

Le contact de la main de Noâz sur la sienne était étonnement tiède, et Europe comprit que c’était sa propre peau, d’une pâleur cadavérique, qui était bien trop froide.
Une morte en sursis, se répéta-t-elle mentalement. Elle leva le regard pour observer le visage de son dernier allié, si proche. Cette vision lui tordit l’estomac. Elle retrouvait tellement d’Alicia en lui! Et c’était si douloureux à contempler! C’était comme regarder un arrière, en scrutant un passé déjà effacé dont on souhaitait ardemment et en vain qu’il redevienne présent et futur. Elle dut détourner les yeux pour empêcher les larmes de perler au coin de ses paupières.

Alicia… à chaque fois que je ferme les yeux, ta dernière image brûle sur mes paupières closes et consume ma raison.

Son regard tomba alors sur le grimoire à moitié disloqué que Noâz avait remis sur son piédestal, et elle se remémora des paroles prononcées une éternité auparavant par Antoine Vaudremont. «
La Walkyrie nous as légué son héritage non pas pour que nous soyons des dieux tous puissants, mais pour que nous soyons une humanité meilleure. Tes grimoires techniques t’aident-t-ils en cela?». Et malgré tout ce qui lui en coûtait, Europe dut en cet instant admettre qu’il avait eu raison. Elle avait consacré sa vie aux grimoires, s’y dédiant corps et âme, mais tout n’était pas dans les livres. Les ouvrages lui avaient conféré des outils et instruments surpuissants, sans lui dire quel usage il était bon d’en faire. Les grimoires vous plaçaient des couteaux dans les mains en vous laissant le choix de poignarder ou non autrui. Il n’y était pas écrit comme réussir sa vie ou comment être aimé des autres. Il n’y était pas écrit comment devenir quelqu’un de bien. Il n’y était même pas écrit comment survivre. Tout ce qu’ils contenaient, c’était du pouvoir, pur et à l’état brut. Rien d’autre. Comme Europe.
Elle comprenait tout, à présent.

Sa main libre se referma sur celle de Noâz, qui tenait ses doigts entre les siens. Elle porta le tout à ses lèvres et y déposa un baiser. C’aurait dû en être un, du moins, mais ses lèvres étaient si sèches que le contact ressemblait à du papier de verre… Cependant, l’intention était là, univoque. Ces derniers jours, il n’y avait que son ultime allié pour la maintenir en vie.

Noâz… Tes mots capricieux et tes sourires cruels étaient une eau et une lumière, qui ont fait éclore ces fleurs en moi.

Il avait raison, elle le savait déjà: tout espoir était perdu pour la Cabbale. La défaite n’était qu’une question de temps. De jours sans doute. D’heures, peut-être.


"Que faire désormais?"
murmura-t-elle. Sans s’en rendre compte, la sorcière avait réduit l’espace entre leurs deux corps. Elle avait presque trente ans de plus que Noâz mais il était aussi grand qu’elle. Europe inclina la tête et posa son front sur la poitrine de l’adolescent, dans laquelle elle sentait battre un cœur bien réel -elle n’était pas sûre qu’il en fut de même dans sa propre poitrine. Cette étreinte à peine esquissée lui apporta plus de chaleur et de tendresse qu’elle n’en attendait.


Peut-être y aurait-il un avenir pour eux deux.
Ils étaient tous deux pourchassés de toutes parts… les ennemis publics numéro un.
Peut-être pourraient-ils s’enfuir ensemble.

Peut-être était-ce juste de cela, dont elle avait besoin. La lutte était finie. Au diable le Pouvoir, le trône, les grimoires, les clans, la guerre, la gloire, la victoire.
Tout ce dont une personne avait besoin pour survivre, c’était de chaleur humaine.
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeDim 16 Fév 2014 - 21:46

Que faire ?

Noâz ne s’était même pas encore posé la question. Il savait que les temps actuels étaient sur le point de se terminer. Il ne savait pas encore comment le nouveau paradigme forbachois allait se mettre en place. Probablement ne lui laisserait-on aucune place dans ce nouveau monde, probablement serait-il rejeté. Comme à sa naissance, par sa mère, comme à l’adolescence par ses camarades paysans, comme à l’âge adulte par sa tribu. Noâz n’avait jamais été accepté en tant que lui-même. Même sa place stable et sûre de Comte de Forbach – et ce n’était pas rien ! – il l’avait usurpée à son frère Amaël. Il était l’inconnu du monde. Il n’avait rien à y faire et c’était bien malheureux pour lui. Bien malheureux pour le monde aussi par ailleurs… Car Noâz était calmement déterminé à se faire une place. De gré ou de force. Il avait tenté la voie légitime, il avait tenté l’intimidation, que lui restait-il ? La manipulation ? Manipulation de qui ? de quoi ? Il avait été abandonné et renié par tous. Il lui restait certes un grand pouvoir, son titre de Comte, mais aussi tôt que l’alliance du Pax Humanum lui aurait mis la main au collet, il n’aurait aucune chance en tribunal.

Il fallait fuir Forbach.

Dans l’étreinte froide d’Europe Noâz vacilla. Un vertige. Quitter Frobach ? Mais Forbach était à lui ! Forbach état toute sa vie ! Il y était né, y avait grandi, c’est Forbach qui avait fait de lui l’homme qu’il était ! Il ne pouvait pas partir ! Peu importait ses habitants ! Forbach allait bien au-delà. Forbach c’était la vie, la fatalité, la mort, l’air le vent et le bûcher. Forbach était tout. Il devait donc tout perdre ? Sa seule consolation serait d’avoir la vie sauve et la possibilité de continuer ailleurs, sous une autre identité, avec Europe. Il examina de ses prunelles d’enfant apeuré celles agars de la femme décharnée. Ils étaient deux pauvres résidus stellaires projetés dans l’océan ténébreux de l’univers. Que pourraient-ils faire ensemble ? Sans pouvoir, sans argent, sans nom, sans espoirs. Survivre pour survivre, ne valait-il pas mieux mourir ? Mais mourir pour mourir, ne valait-il pas mieux survivre ?


« Il faut partir Europe, il faut quitter Forbach »

Noâz qui tenait toujours la main d’Europe la tira vers l’intérieur du salon. Il était pris d’une panique existentielle.

« Il faut prendre le nécessaire ! »

Il se mit à ranger compulsivement et sans les discerner ses affaires et celles d’Europe dans des malles.

« Je vais retourner au château et attendre la nuit, discrètement, j’attèlerai des chevaux et une charrue. Nous voyagerons incognito et filerons vers les ténèbres de la Forêt Noir, jusqu’en Autriche et jusqu’en Italie »

Noâz n’avait aucune excitation à l’énonciation de ce plan de fortune. Il le disait avec l’énergie de ceux qui doivent choisir en sachant qu’il n’y a pas de bonne option que la survie primaire.

« Fais vite, ils ne tarderont plus à venir nous trouver »

La Cabbale était déjà loin dans l’esprit de Noâz, le Lys Noir n’était plus qu’un fantôme et il n’imaginait plus que sa fuite avec Europe avec l’appréhension d’un saut dans le vide. Noâz cessa une seconde sa bougeotte effrénée en passant devant le Livre des Anges. Il était leur dernier espoir de reconstruire peut-être un empire, ailleurs. Noâz posa ses mains sur le vieux grimoire pour le soulever. Mais il le sentit lourd. Il pensa d’abord que le livre les freinerait puis il comprit le pire. S’ils s’emparaient du Livre des Anges, le Pax Humanum ne leur laisserait aucun répit. Si leur dernière chance de rayonner était de prendre le grimoire, leur unique chance de vivre était de l’abandonner. Sans le livre ils n’étaient absolument plus rien, et le Pax Humanum le savait.

Noâz reposa le livre l’air grave.



« On ne doit pas s’encombrer »

Conclut-il les larmes aux yeux. Tant de puissance, tant de sagesse, quel gâchis.
Il se sentait si misérable en cet instant.


« Tu es prête ? »
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MessageSujet: Re: La Tour des Anges   La Tour des Anges Icon_minitimeMar 18 Fév 2014 - 23:43

Quitter Forbach?

L’idée ne lui avait jamais traversé l’esprit. Lorsque ses parents étaient encore en vie, c’était normal. Elle voulait vivre avec sa famille. Puis ses géniteurs étaient décédés, mais elle était restée. Pour trouver un mari. Elle n’en avait pas trouvé mais elle était restée. Pour le clan. Le clan avait été décimé par des années de lutte mais elle était restée. Pour Louis. Son amour avec Louis s’était fâné, sa tribu l’avait destituée, le monde l’avait accusée de sorcellerie et pourchassée… mais elle était restée. Les sorcières comme elle étaient promises au bûcher, les citoyens avaient été possédés par les esprits des morts, massacrés par l’Oracle, marqués par le sceau de l’Ange, promis à une centaine de morts… et pourtant, elle était restée. En toutes circonstances. Alors que de nombreuses âmes n’avaient aspiré ces dernières décennies qu’à fuir Forbach et son vortex mortel, sans pouvoir échapper cependant à l’emprise de la ville, Europe n’avait jamais eu l’intention de la quitter.

La perspective de ce saut imminent dans l’inconnu lui fit plus peur qu’elle n’aurait jamais pu l’admettre. Et malgré tout, ce ne fut pas cette crainte qui la décida. Ce fut une sensation beaucoup plus subtile et complexe, proche de la prescience. Noâz avait reposé le Livre des Anges, ayant compris à raison qu’il représentait certes leur seule chance désormais de reconquérir du pouvoir ailleurs, mais aussi qu’il les condamnerait à être traqués
ad vitam. Il replaça donc l’ouvrage sur son piédestal et le monde d’Europe se scinda en deux. Son passé et tout ce qu’elle avait connu se trouvaient dans le grimoire. Son futur et l’inconnu qui y était inhérent se trouvaient en Noâz. Les deux côtes à côtes, se frôlaient et se repoussaient mutuellement, emprunts de la vérité d’un impossible mélange.

Europe regarda à droite; elle regarda son avenir possible; elle regarda Noâz qui lui tendait la main... et ce qu’elle y vit l’épouvanta plus que tout le reste.
Plus que cette force mystérieuse, ce climat létal et maléfique planant sur Forbach depuis des décades, qui avait pris et ruiné des centaines d’existences.
Plus que le fait d’être rejetée, haïe et trahie par tous, y compris ceux qu’elle considérait auparavant comme ses meilleurs amis.
Plus que la perspective d’être en cavale pour le reste de ses jours, d’être rattrapée puis capturée par le Pax Humanum, avant d’être condamnée à mort pour ses soi-disant crimes…

Ce qu’elle aperçut l’effraya plus que tout cela.
Elle se vit avec Noâz, dans cinq ans, ou dix, ou quinze. Habitant dans une masure isolée oubliés de tous. Passant ses journées le balai à la main, à tenir ce foyer misérable et minuscule, à traire les vaches, faire la cuisine, repriser les oripeaux en loques... Condamnée à une pauvreté et un anonymat éternel. Elle respirerait dans cet univers de glaise et de poussière comme les animaux: mangeant, buvant, vieillissant… et mourant sans rien avoir aperçu de plus.
Elle deviendrait comme des milliers et de milliers de femmes depuis le commencement du monde: à rêver d’intégrer un monde de pouvoir, au lieu d’accomplir des tâches manuelles répétitives sans espoir d’évolution. A la fin de ses journées de labeur, elle n’aurait plus qu’à préparer le frugal repas du soir et aller se coucher immédiatement après, pour se réveiller le lendemain à l’aube et vivre une nouvelle journée de travail monotone, banale, anonyme, vide de sens. Et ce, sept jours sur sept.
Elle ne ferait que travailler, produisant juste assez pour se nourrir jusqu’au lendemain. Ni espoir, ni avenir. Chaque jour identique, et ainsi de suite… jusqu’à la fin. Comme ces millions de gens morts avant d’être nés, qui passent leur temps à rêver d’ailleurs, avant de se réveiller vieux et de s’apercevoir qu’ils ont attendu quelque chose en vain toute leur vie.

Elle deviendrait… tout ce contre quoi elle avait lutté pour ne pas devenir.


"Non…" murmura-t-elle, si bas que nul ne l’entendit.

Europe se rua en avant. Noâz crut sans doute qu’elle allait l’étreindre car il ouvrit légèrement les bras, mais elle passa à côté de lui et saisit avec vigueur le Livre des Anges avant de plaquer l’ouvrage contre sa poitrine, effarouchée, comme si Noâz avait voulu attenter à l’intégrité du grimoire. Elle qui avait envoyé valser le livre à travers la pièce quelques minutes auparavant, le tenait désormais comme une lionne protégeant son petit.


"Non! Non! Je refuse! NON!"

L’hystérie avait fait son retour. Les cheveux en bataille, Europe recula en dardant sur Noâz un regard menaçant comme si il l’avait giflée.


"Qu’ils aillent tous au diable! Je n’abandonnerai JAMAIS ce pour quoi je me suis battue toute ma vie! Je préfère mourir, oui, mourir que de renoncer à tout ça! N’est-ce pas aussi ce que disait ta mère? Il faut se battre jusqu’au bout pour ce que l’on croit! Penses-tu qu’elle se serait contentée de finir ses jours en petite femme au foyer docile, à faire la vaisselle? Non, bien sûr que non!"

La sorcière secoua frénétiquement la tête en signe de dénégation pour ponctuer son propos. Des larmes de rage et de frustration coulaient désormais sur ses joues.

"Tu veux t’en aller, toi aussi? Alors pars! Pars très loin, le plus loin possible de mon courroux! Je ne plierai pas l’échine devant un tas d’imbéciles qui s’imaginent pouvoir me prendre ce que j’ai mis des décennies à construire! Ils veulent en finir? Qu’ils viennent alors! Je les attends de pied ferme!"
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La Tour des Anges

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