Quand la Veuve fut certaine que Marie-Théodosine était partie perturber d’autres pauvres hères, elle fit mander Sigmund en précisant qu’il devait venir toutes affaires cessantes. L’homme allait se révéler être son allié le plus précieux dans les heures à venir. Son choix n’avait pas été innocent : il convenait qu’ils mettent ensemble un plan sur pied. Eût-elle été moins pressée par le temps – il lui fallait absolument agir avant que la Clarisse ait vent de quoi que ce soit – elle aurait convié David aux discussions.

Elle connaissait bien Sigmund, cependant : mieux valait qu’ils règlent l’affaire ensemble. Tout en apposant sa signature aux derniers documents qui devaient être traités, Cassandra s’autorisa un sourire froid. Qui eût cru qu’ils termineraient ainsi ? La première fois qu’elle l’avait rencontré, il venait de lui être imposé comme partenaire par son ennemi romain de l’époque. Beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts, et ils en étaient venus à s’apprécier et à se respecter. Ils incarnaient, face au renouveau des jeunes Inquisiteurs de Forbach, les vieux singes à qui on n’apprenait pas à faire la grimace. Elle espérait que leur exemple finirait par être suivi par les jeunes têtes brûlées de la Collégiale. L’évolution de David Geisler de Fontigny à ce propos était des plus remarquables. Les pensées de la Veuve s’arrêtèrent là. Elle ne voulait pas penser maintenant à son gendre, c’était trop… pénible.

Les dernières discussions que Sigmund et elle avaient partagées étaient cruciales pour l’avenir de l’Inquisition. Ils avaient notamment parlé du cas de Noâz Loewenstein, et des mesures qu’il convenait de prendre. Ce qu’il lui avait révélé sur ses doutes – fondés, c’était bien le pire – avaient glacé le cœur de l’Inquisitrice Générale. Ce n’était toutefois pas le moment de se laisser aller, ils avaient du pain sur la planche. Et pour oublier le désastre sans nom qui venait d’arriver dans son foyer, la Veuve était prête à travailler des heures durant.

Quand Sigmund se présenta enfin à son bureau, Cassandra savait ce qu’elle allait lui dire. Elle l’invita à s’installer, puis commença de but en blanc :

- Bonjour Sigmund. Tu as assisté à l’arrivée de Mère Marie-Théodosine ? Oui ? Parfait, ce sera ça en moins à expliquer. Je viens de discuter avec elle, si tant est que discuter soit le terme qui convient. Je crains fort que notre passé commun ne soit un mur de plus entre nous. Peu importe. La raison pour laquelle je t’ai fait venir, c’est qu’elle a un plan dans lequel je t’ai impliqué.

La Veuve lança un regard entendu à son ancien coéquipier. Ils n’auraient pas droit à l’erreur.

- Tu te souviens de l’épée que j’ai récupérée après les événements de juin dernier ? Il se trouve que notre chère et estimée consœur a eu vent de son existence et compte retourner la puissance cette magie inconnue contre ses créateurs.

Le regard de Cassandra vrilla celui de Sigmund. Elle ne savait pas ce qu’il penserait de la suggestion-ordre de Marie-Théodosine, mais elle devinait qu’il aurait une position similaire au discours qu’elle avait tenu à la Clarisse.

- Je pense qu’il s’agit d’une grave erreur. Toutefois, Marie-Théodosine dispose d’un blanc-seing qui m’empêche de la plier à mes ordres. Elle m’a demandé de lui adjoindre un homme de confiance pour l’aider à escorter l’épée jusqu’à Metz, où l’évêque tentera de la désenvoûter.

Cette fois-ci, Cassandra croisa ses mains d’un geste décidé, avant de terminer :

- Je t’ai désigné, Sigmund. Dans les heures à venir, tu seras convoqué et mis au courant des détails que j’ignore encore. C’est pourquoi nous avons peu de temps. La mission sera extrêmement délicate, et c’est maintenant qu’il nous faut établir une stratégie fine et jouable.

Enfin, Cassandra se permit un léger sourire – si discret qu’il aurait presque pu passer inaperçu.

- Fort heureusement, Marie-Théodosine n’a pas encore réalisé de quel bois se chauffent les Inquisiteurs de Forbach.