Le Père Byche nourrissait les cochons. Il pensait déjà à la tache suivante espérant que la pluie ne viendrait pas détruire ses plantations piquées la veille. L'hiver avait été rude. On redoutait une mauvaise saison et avec elle la disette. Il refermait l'enclos lorsqu'il aperçu le petit Henri qui courrait vers lui comme un goret mal dégrossit. Il étouffa un juron dans sa barbe. Danielle avait encore dû oublier de fermer les écuries, non de non. Cette gamine passait plus de temps à folâtrer dans les champs qu'à besogner. Cette fois c'était décidé, qu'importe les jérémiades de la mère, il allait sévir.

Le petit s'arrêta et se plia en deux en cherchant son souffle. On aurait dit qu'il avait couru des kilomètres. Joseph entendit alors un brouhaha qui venait de l'entrée de la ferme. Il y avait comme une agitation dans l'air. Même Tom le borgne avait déserté son champ. Voilà encore autre chose, pourquoi diable tout ce tintamarre ? Le vieux s'approchait avec sur sa tronche un air de colonel.

- "C'est ta fille Joseph. On l'a retrouvée à la bergerie."

L'un des garçons avait recouvert son corps d'une veste. Mais, on pouvait encore voir ses jambes lacérées par les griffes. Un loup disaient-ils tous. Il avait sûrement suivi le troupeau au petit matin. Il avait profité que Danie soit seule pour tenter sa chance. Cette idiote s'était interposée entre le chasseur et les agneaux. Elle avait des marques de luttes sur les bras et les mains. Mais la bête avait dû réussir à la mettre à terre. Il s'était tellement reput qu'il n'avait même pas touché aux moutons l'animal ! Les hommes finirent par le retrouver à à peine un lieu de là en train de finir de manger sa dernière proie.

Byche avait attendu que tout le monde soit présent pour annoncer la nouvelle. Il leur avait dit qu'il avait vu le Père Grégoire et que tout était arrangé. Il y aurait une messe et après Danielle rejoindrait sa grand-mère au cimetière du village. Étant donné son état le croquemitaine l'avait gardé là-bas pour éviter un déplacement inutile. Après ça, il était parti de la maison. Il avait marché jusqu'à la vallée. Là où la petite menait le troupeau. Et puis, il avait commencé à pleurer, comme un gosse.

Il se souvenait bien du jour de sa naissance. Il avait neigé toute la journée. Un vrai temps de chien mais le lendemain allez savoir comment ils avaient eu un répit. Danie avait toujours été la plus lumineuse des filles Byche. Ce qu'elle n'avait pas dans la tête elle l'avait dans le cœur. Tous les gamins du patelins avaient rêvé de réussir à la faire rire tellement elle était jolie. En vrai, Joseph aimait l’entendre jouer avec les oies ou gronder les lapins. Il s'était toujours dit qu'elle lui donnerait un peu de sous pour qu'elle puisse avoir un bon mari et puis faire ses mômes. Danielle avait toujours dit qu'elle voulait d'une grande famille. Il fallait croire que le Doux Jésus n'était pas d'accord avec ça. Peut-être qu'il la voulait là Haut pour faire sourire les anges ?

Le lendemain, comme dix-sept ans plus tôt, il fit grand soleil à Forbach. Et les primevères sortirent enfin de terre, comme si elles avaient attendue cette occasion. Ou alors,Dieu venait-il leur rappeler qu'IL mettait de la beauté en toute chose.