Tant de choses étranges s’étaient passées en si peu de temps. Le départ d’Alodia, laissant Carlyn et Alicia seules dans les sous-sols du château, cet étrange phénomène avec l’eau qui ravivaient des souvenirs bien douloureux. Non décidemment, Carlyn n’arrivait pas à s’y faire. Et la messe de Cendres qui allait débuter… pour la première fois depuis quelques temps, elle était sortie. Jusqu’à maintenant elle était restée cloîtrée dans ses appartements, elle n’avait fait qu’une brève excursion dans le parc de l’église. Etant plongée dans ses pensées, elle n’avait pas tellement fait attention où elle allait vraiment. Elle laissait ses pas la guider, et ils décidèrent de l’emmenée sur les berges de l’étang de Diefenbach. Son regard bleu se porta sur l’étendue d’eau et ses alentours, il n’y avait personne. Bien. Alors elle serait tranquille pour se ressasser encore et encore les évènements qui venaient de se passer et penser également aux évènements qui vont se passer.

La Prêtresse du Lys Noir se sentait perdue, chose qui n’arrivait que très rarement tout de même. Mais le départ d’Alodia, une de ses sœurs l’avait profondément marquée, même si cela ne se voyait pas tellement. Alicia savait ce qu’elle endurait, car cela devait être la même chose pour elle. Une vieille pierre au loin, elle décida de s’en approcher et de s’assoir dessus, pour contempler l’étendue miroitante de l’étang. La jeune femme se demandait où elle pouvait bien être, et espérait qu’il ne lui était rien arrivé. Passant ses longs doigts fins dans ses cheveux d’un noir bleuté comme le plumage des corbeaux, la belle avait posé son regard lagon sur la surface de l’eau. En parlant de corbeau, où était passé Whisper ? Sûrement était-il partit en vadrouille pas très loin d’ici, il reviendrait lorsqu’il en aurait finit de sa promenade, elle le connaissait.

{Désolée c'est pitit ^^"}

Dans les bras du temps...
___Adossée à un chêne ancestral dans lequel elle aurait pu tenir comme un insecte dans la paume de la main, Alodia se reposait en écoutant souffler le vent. Celui-ci faisait doucement virevolter ses cheveux détachés pour l'occasion. Son visage était si serein du fait que l'air qu'elle respirait depuis des années emplissait à nouveau ses poumons, sous sa gorge si délicate. L'herbe humide de rosée avait trempé le velours de sa robe bleue, mais le corset restait intact. Cependant, si sa grand-mère s'était trouvée dans les parages, elle lui aurait, sans nul doute, reproché d'être gorge nue plutôt qu'avec une robe qui lui couvrirait toute la poitrine et non pas la moitié. Au creux de ses cuisses galbées en tailleur somnolait Conry, le petit loup profitait de la chaleur maternelle qu'offrait cette partie du corps d'Erika, qui était sa nouvelle mère, avant de ne plus pouvoir s'y nicher. Les mains de celle-ci, d'ailleurs, caressaient sa fourrure blanche d'un air distrait, ce qui l'aurait fait ronronner s'il eût été un chat.
___Ils se trouvaient au bord de l'étang, si près de l'eau qu'ils pouvaient en entendre le flux, si délicat, presque inaudible par-delà le chant des oiseaux qui piaillaient gaiement au-dessus de leurs têtes. Ce fût d'ailleurs l'un d'eux qui fit se réveiller la prêtresse : en s'envolant, l'oiseau avait remué les feuillages, faisant ainsi tomber une goutte de pluie qui s'écrasa sur les lèvres vermillon d'Amelia Dolore. Elle ouvrit lentement les yeux, comme tirée d'un profond sommeil et du en cligner plusieurs fois avant qu'ils ne s'adaptent à la lumière. Son premier réflexe fût de sourire en regardant dormir le canidé. Elle ne se leva pas, respectant le sommeil de l'être qui était comme son enfant.
___Ses yeux se plongèrent alors dans l'étendue d'eau, face à elle...

___...L'aurore de Forbach céda la place au crépuscule d'un lac, par-delà l'horizon, et encore au-delà. La calotte de glace qui recouvrait l'immense étendue d'eau avait fondue, en relevant le niveau. Par-ci par-là pointaient les touffes d'herbes qui parvenaient à percer l'épaisse couche de neige, manteau blanc de la nature, en ce dix-septième jour après le solstice d'hiver. Le vent n'osait pas mordre quelque centimètre de peau qui lui était mis à disposition, pourtant personne ne se plaindrait du fait qu'il chasse la neige, qui empêchait toute culture par sa présence...
___La pêche aussi souffrait de la rigueur de l'hiver, les saumon ne répondaient pas à l'appel et les Caréliens comme les Saames devaient survivre sur la seule viande des rennes. Un de ces cervidés traînait d'ailleurs dans les parages, à moins d'une vingtaine de mètres de là. Erika tressaillit sous son épaisse robe du tissu, que les lapones s'appliquaient tant à tisser, attirant ainsi l'attention du renne...

___Des mouvement auprès de sa matrice firent quitter sa transe à Alodia. Le louveteau se réveillait, et la jeune femme le mit doucement à terre, où il s'étira. La prêtresse se leva alors et essuya sa robe. C'est alors qu'un inconnu survint. Qui ne resta pas bien longtemps inconnu : il s'agissait de Whisper, le corbeau favori de Carlyn.

"Où est ta maîtresse, Whisper?"

___Mais elle n'eût pas fini sa phrase qu'elle entrevit, à l'autre bout de l'étang, la silhouette noire de son amie la prêtresse. Elle était partie sept mois, mais ces sept mois sans Carlyn, sans Alicia, sans tout le clan, avaient été durs. Elle décida donc de la rejoindre.

"Te joindras-tu à moi, cher ami?"

___Un croassement pour seule réponse, elle prit la direction de Carlyn, de l'autre côté. Et devait pour cela entreprendre de contourner l'étang. Elle s'enfonça donc dans la forêt pour surprendre davantage une des deux sorcières qu'elle appréciait le plus. Conry gambadait en silence, essayant de courir après les rennes, qui s'échappaient plus vite qu'il ne les suivait.
___Elle atteignit Carlyn rapidement, Whisper sur le bras. Stoppée net derrière la belle brune, Erika se pencha et imita le croassement d'un corbeau juste au moment où le choucas s'envola pour tournoyer autours d'elles.

Enfermée dans ses pensées, Carlyn ne faisait pas attention à ce qui se passait autour d’elle. Elle accordait que trop d’importance à ses sentiments envers son clan, il fallait qu’elle se ressaisisse, non pas de devenir insensible à ce qu’il s’y passait, mais au moins pour ne pas être abattue comme elle l’était à l’instant. Prêtresse du Lys Noir, tu fais peine à voir comme ceci. Tu as une place à tenir auprès de sœur, la Meneuse, elle n’a pas besoin de quelqu’un dans ton état. Carlyn secoua la tête, levant son regard droit devant elle sur l’étendue miroitante de l’étang.

Le vent souffla, faisant voleter le bas de la cape de la sorcière. Cette dernière frissonna. Levant les yeux au ciel, elle se demandait où était partit son oiseau noir. Encore en balade ? La jeune femme, effectivement ne faisait pas attention à ce qui l’entourait, car elle n’avait pas vu Alodia de l’autre côté de l’étang. Finalement la jeune femme se leva, regardant encore l’étang d’un air songeur. Un bruissement d’aille se fit entendre.

"Ah, Whisper…" dit-elle a demi-voix.

Un étrange croassement se fait entendre également. Surprise, elle se retourna et ouvrit de grands yeux lorsque ses iris bleus se posèrent sur le visage de sa sœur qui était partie quelques temps auparavant. Carlyn resta paralysée par la surprise l’espace de quelques instants.

"A…Alodia" dit-elle dans un souffle.

Heureuse de la revoir, elle offrit une longue étreinte à sa sœur qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps.

"Ne pars plus Alodia, Alicia et moi étions inquiètes" s’enquit-elle de dire sans pour autant relâcher l’étreinte.

___Carlyn se retourna pour lui faire face et la stupeur était largement lisible sur son visage d'ordinaire si impassible. Elle ne bougea pas pendant quelques instants et murmura le nom de la revenante en se jetant sur elle dans une étreinte pleine de sens. Alodia ne pouvait que poser ses bras autour d'elle pour lui rendre son geste affectif. Elle la serra également en espérant ne pas l'étouffer. Carlyn et Alicia avaient horriblement manqué à la Prêtresse qui était partie, et retrouver les deux était pour elle un moment de pur bonheur qui ne serait jamais égalé au cours de sa vie.
___Elle regrettait son manque d'expressivité et aurait voulu en faire plus pour s'excuser, mais à ce moment, elle ne trouvait pas la force de s'excuser. Les sept mois passés loin de là défilaient dans sa tête, augmentant sa culpabilité vis-à-vis de ses deux soeurs. Conry, curieux, semblait en train de renifler sous la robe noire de Carlyn pendant que Whisper se posait sur une branche basse et les observait d'un oeil neutre. Lorsqu'enfin Alodia se décida à dire quelque chose, ce fut la voix de Carlyn qui résonna.

___"Ne pars plus Alodia, Alicia et moi étions inquiètes."

___"Je suis désolée, Carlyn. La Terre, notre mère à toutes m'appelait en un autre lieu, et le Vent, son frère, m'y a porté. Il fallait que j'aille là-bas. Et me revoilà, à présent. Je ne partirai plus, je te le jure."

___Elle resserra quelque peu la prise qu'elle avait sur sa consoeur prêtresse avant de la lâcher et de s'asseoir sur une des pierres qui saillait du sol. Les mains sur les cuisses, elle écoutait les remous de l'eau de l'étang. Il lui sembla qu'une éternité passa.

___...Le lac prenait une teinte rosée à mesure que le soleil de minuit s'approchait de l'horizon. L'air était frais et Erika se tenait dans une de ces fourrures de renne dont les Saames ont le secret. A côté d'elle se trouvait Sonja, qui lui servait d'interprète, et Sofia, qu'elle avait rencontrée en route. Toutes trois avaient le regard perdu dans l'eau, assises sur un tronc de sapin, dénudé par une saison sans avoir pu se nourrir à cause du bûcheron qui l'avait abandonné après l'avoir détrôné.
___La Pleine Lune faisait déjà son apparition dans le ciel qui allait du bleu au jeune en passant par un rose orangé magnifique. Les trois sorcières ne disaient pas un mot, chacune emmitouflée dans sa fourrure, le regard plongé dans l'eau glacée. Seule une d'entre avait envie de s'y baigner, mais elle contenait son désir, car les deux autres ne l'auraient sans doute pas suivie. L'une d'entre elle songeait à un beau feu pour célébrer les temps à venir. La dernière était encore mélancolique d'un paysage qu'elle avait quitté peu avant. Il leur fallut un certain temps pour se révéler leur pensées, car le soleil avait déjà disparu derrière l'horizon... Le feu fut allumé, les robes enlevées et les corps mouillés dans les minutes qui suivirent...

___Elle revint à la réalité : elle ne se trouvait qu'avec Carlyn, prés de l'Etang de Diefenbach. Mais peut-être reverrait-elle ses compagnes des pays du nord un jour? Peut-être viendraient-elles jusqu'ici, ensemble? Ou pas. Mais elle ne quitterait plus Alicia. Ni Carlyn. Soudain Conry sauta sur ses jambes et elle se mit machinalement à le caresser.

___"Comment vas-tu? Que s'est-il passé à Forbach durant mon absence?"

Un sourire manifestant le bonheur d’avoir retrouvé sa sœur naquit sur les lèvres de Carlyn. Son cœur battait la chamade tant il avait été prit d’une surprise sans pareil. La jeune femme ne s’était pas attendue au retour de la sœur, mais l’avait espéré du plus profond de son cœur. Quel soulagement de la voir enfin rentrée. Elle fut heureuse de sentir qu’Alodia lui rendait son étreinte. Carlyn n’avait pas pu résister à l’envie de prendre sa consœur dans ses bras, tant elle était heureuse. Sept mois, sept longs mois qui semblaient interminables, Carlyn avait pensé à Alodia pendant tout ce temps, priant même pour qu’elle revienne au sein du Lys Noir, près d’elle, d’Alicia et de Mina. La jeune femme se desserra quelque peu d’Alodia, baissant alors son regard vers le sol. Un petit animal commençait à renifler sous ses jupes. Elle sourit en le voyant faire, et reporta son attention sur la sorcière.

Elle était si heureuse de la revoir, qu’elle ne pouvait pas lui faire de reproches. Puis Alodia s’excusa, lui disant que d’autres vents l’avaient appelée ailleurs. Carlyn comprenait ce qu’elle voulait dire, enfin, elle le pensait tout du moins elle lui jura qu’elle ne partirait plus, cela suffisait à Carlyn, sa sœur Alodia ne l’abandonnerait plus, elle et ses autres sœurs. Cette dernière resserra l’étreinte autour des épaules de Carlyn, avant de la rompre, de s’éloigner et d’aller s’asseoir sur une pierre qui reposait non loin du bord de l’étang. Elle semblait ailleurs cette chère Alodia, peut-être était-elle entrain de se remémorer son voyage de sept mois et tout ce qu’elle avait fait. Carlyn souriait en la regardant. Puis l’animal sauta sur les cuisses d’Alodia, qui finit par le caresser. Elle lui demanda comment elle allait et ce qui s’était passé durant son absence. Carlyn prit alors également place sur une pierre, Whisper la rejoignant donc, en se posant sur l’épaule de la jeune femme.

"Oui, je vais bien, je vais bien depuis que tu nous es revenue Alodia. Il s’est passé tellement de choses… et d’autres ne vont pas tarder à se produire. Gabriel de Mortelune avait été arrêtée ainsi que deux autres femmes, elles… elles ont été exécutées par l’Inquisition… " dit-elle d’une petite voix.

"Mais nous nous vengerons, sois en sûre, nous vengerons la mort de notre sœur, et des deux autres femmes… "

Carlyn avait parlé d’une voix plus froide en disant cela. Elle redevenait enfin ce qu’elle était habituellement. Le retour d’Alodia l’avait transformée, elle n’était plus aussi douce et mélancolique que pendant ces sept derniers mois. Whisper croassa, et Carlyn lui administra quelques caresses sur le poitrail, histoire de le calmer un peu.

[ At the Gates of Sleep - Insomnium ]

___Les traits d'Alodia se durcirent quelque peu lorsque Carlyn annonça l'arrestation de Gabrielle. Alodia le savait, bien sûr, elle avait vu ce qu'il restait du corps de la sorcière peu de temps avant. Alodia ne l'avait pas vraiment connue, elle l'avait vue de son siège lors des assemblées du Lys Noir, mais ça s'arrêtait là. La proximité d'Alodia avec les sorcières du Lys Noir était certes grande mais elle ne dépasserait pas celle avec Carlyn, et encore moins celle avec Alicia. Avec un sourire amer, elle répondit à la prêtresse.

___"Je sais... J'ai pu apercevoir, et honorer, ses derniers instants."

___Elle continuait de caresser Conry sans s'en apercevoir, et plongea son regard de jais dans celui de Carlyn. Le silence pesa quelques instant, jusqu'à ce que la consoeur d'Alodia parle de vengeance. Erika répondit alors, de manière posée.

___"Elle viendra, ma soeur, elle vient. En son temps, mais Louis tombera, et l'Inquisition avec."

___Elles étaient toutes les deux, assises sur des pierres devant l'étang. Ces instants, pour Alodia, ressemblaient à des heures passées près d'une cheminée, à profiter de la chaleur, de la lumière que le feu offrait à travers l'âtre. Aucune des deux n'avait besoin de mots : elles savaient que rien ne pourrait les séparer. Soudées comme deux soeurs, elles faisaient face à la bêtise humaine, Antigones de leur époque avec toutes les autres sorcières, qu'importe la Tribu.

___"Parfois, il me semble que tout cela n'est que fables, qu'un conte pour effrayer les enfants. Et même les adultes. Une vulgaire mascarade dont le principal instigateur serait le roi..."

___Elle soupira, perdue dans ses pensées... Puis elle reprit, de son ton d'une mélancolie que teintait le dédain.

___"Mais je me réveille, lorsque je vois le sceau vermillon d'une lettre... Cette cire faite du sang de toutes nos soeurs assassinées, exécutées... Je me réveille lorsque crient les loups ou croassent les corbeaux, annonçant de glas d'autres soeurs, encore et encore, comme une spirale infernale..."

___Elle restait assise, Conry sur ses genoux. Ah! Qu'il était beau, qu'il était lumineux en ces temps que le pouvoir ou la folie noie dans des Ténèbres si profondes qu'on oublie qu'elles en sont. L'âme humaine s'est endormie, il n'y a plus de place que pour la haine entre les êtres. Et de l'amour entre les frères et soeurs.

Oh oui, elle avait bien entendu les dires de Carlyn, car ses traits s’étaient tendus et durcis lorsqu’elle avait parlé de Gabrielle De Mortelune qui avait été arrêtée par les Inquisiteurs peut-être y avait-elle assisté dans l’ombre, à la mise à mort de leur pauvre sœur. Même si elles n’avaient pas été aussi proches de la défunte, cela les attristaient énormément. Puis elle s’était levée, s’avançant vers la jeune femme qui avait son animal sur les genoux.

"Ne durcis pas tes traits chère sœur, cela ternit ton magnifique visage" lâcha Carlyn tout en prenant délicatement le visage d’Alodia entre ses doigts fins, caressant alors l’un de ses joues du dos de sa main.

"A toi aussi, cela t’as fais très mal n’est-ce pas ? Oui j’en suis sûre, comme à moi, Mina ou encore même Alicia."

Leurs regards se croisèrent, le silence avait prit place l’espace de quelques instants, mais Carlyn avait prit ensuite la parole énonçant la possibilité d’une vengeance. Alodia lui avait donc assurée que cette vengeance viendrait, que l’Inquisition et leur chef, Louis, viendraient à tomber un jour. Carlyn sourit alors à sa sœur, car elles étaient sur la même longueur d’ondes. La Prêtresse finit alors par aller se rasseoir sur la pierre qu’elle avait quittée quelques instants auparavant, Whisper venant se poser sur son épaule, réclamant quelques caresses.

"Même si nous ne voulons pas y croire, on ne peut pas se convaincre que tout ceci n’est pas réel. Gabrielle est morte, qui sait ce qui pourrait se passer, qui pourrait perdre la vie parmi nos consœurs la prochaine fois ?"

Carlyn n’ajouta rien à la suite de ce qu’avait dit sa sœur, se contentant de laisser divaguer son regard bleu nuit sur la surface de l’eau de l’étang.