Le doux bruit de l'eau ; L'air humide qui s'engouffre dans ses narines ; Ses pieds, nus, sur le sol de mousse ne bougent plus, s'enfoncent un peu. Contact calme entre deux entités vivantes. Aeris soupire, lasse, les yeux fermés, en espérant voir quelqu'un lorsqu'elle les rouvrirait.

Faisons durer ce moment le plus longtemps possible.

Entendre chaque chose, chaque bruit. Prendre un peu d'avance. Se remémorer chaque instant passé ici, durant sa jeunesse, à courir parfois, boiter souvent, et rire de cette manière si peu plausible qui suffisait pourtant à ses compagnons de son âge. Ses paupières, se forçaient à rester closent, cela se voyait. Le souvenir de sa chute restait omniprésent, et sa douleur à la jambe restait un rappel suffisant. Heureusement, ce soir, la blessure s'était fermée, comme pour montrer qu'il fallait aller de l'avant. La rousse pouvait se mouvoir avec facilité pour se déplacer, et cela l'apaisait un peu.

Il fallait avouer qu'un peu de trac la taraudait. Cela faisait des semaines qu'elle attendait, avec une certaine impatience, qu'on la contacte à nouveau, et maintenant que c'était fait, il lui était difficile de rester en place. Devait-elle vraiment continuer à apprendre ? Théodor n'avait-il pas suffisamment donné de leçons ? Elle savait au moins lire et écrire. C'était long et difficile, mais au moins, elle connaissait les rudiments du langage. Son ancien aguerri avait tenté de lui apprendre la patience et le calme, mais à priori, il avait échoué.
Faisant claquer sa langue dans un geste nerveux d'impatience, la jeune femme ouvrit les yeux et remis ses chaussures posées à ses côtés. Habillée d'une éternelle robe abimée, usée par le temps, d'un vert pâle, terne, et sans saveur, Aeris, pour se protéger de la fraîcheur de la soirée portait un manteau dans le même état que le reste de ses vêtements.

Le miroitement de l'eau rendait l'endroit pratiquement magique, et la jeune femme sourit, consciente que l'atmosphère se prêtait parfaitement à la situation. Seulement, le rendez-vous avait été fixé à la tombée de la nuit, et elle avait dû accélérer le rythme de sa journée pour pouvoir être à l'heure. A priori, ça ne gênait pas sa nouvelle aguerrie de la faire patienter un petit instant. Ç’aurait pu ne pas être un problème, si la patience avait été son fort ; Mais ne sachant pas ce qui l'attendait, comment était la femme qui devait s'occuper d'elle, il était difficile de tenir en place, partagée entre l'excitation et l'appréhension, les yeux contemplant la beauté de l'eau.

Le reflet de la lune se faisait plus présent à chaque instant dans l'eau sûrement troublée par quelques amphibiens désireux de trouver un peu de nourriture. La lune était quelque chose qui avait troublé les hommes en tous temps, la rendant tour à tour déesse, puis démone. Mais rarement, elle avait existé en tant que lieu. Qu'était-ce en réalité ? Sa présence avait-elle une influence sur la magie ?
Oui, Aeris avait encore besoin d'apprendre, et ce, certainement toute sa vie. Son apprentissage semblait ne pas avoir de fin. Moment interminable de sa vie, comme si après, rien ne pouvait exister. Ou bien comme si elle ne faisait pas partie de ce clan.

Une voix derrière elle. La jeune femme sursauta, trop à ses pensées pour réaliser que celle qu'elle attendait venait d'arriver. La fraîcheur de la nuit s'engouffra sous son manteau miteux alors qu'elle se retournait. Petit mouvement de cheveux qu'elle repoussa d'un geste distrait de la main.

Jaelyn De Noisia... Finalement, je ne suis plus certaine de vouloir ça.

La réalité voulait que tout en son être, en cet instant, refusait la personne de Jaelyn. Mais au fond, elle s'attendait à quoi ? Theodor n'était plus, et elle devait donc se trouver un autre mentor. La femme devant elle lui avait été assignée. Emmitouflée dans de longues fourrures, elle ne devait pas souffrir du froid. Son regard neutre, testeur, prouvait bien qu'elle ne souffrait de rien, en fait. Et sous ses yeux, la rousse se sentait complètement sans valeur. La dizaine de centimètres en moins qui la désavantageaient y contribuaient peut-être un peu. Si cette Jaelyn, si sombre, n'avait pas le charisme accueillant de Theodor, elle avait celui qui vous laisse méfiant jusqu'au bout.

La rousse ravala quelques commentaires désobligeants sur le retard de la dame, sans savoir qu'elle l'avait observée un moment, car cela était une des premières leçons que lui avait enseigné son ancien aguerri : le respect. Que l'on aime, ou que l'on n'aime pas, le respect permettait de rester en vie. Que savait-elle des capacités de cette sorcière ?
Oui, ça y était. Le monde des sorcières. Aeris y replongeait doucement. Face à cette femme qui semblait à son esprit richement habillée, elle se posait une question dangereuse : Qu'est-ce que je fais là ? ... Elle savait pourtant que le clan du Lys Noir était connu pour avoir des membres pouvant l'entretenir financièrement. Les gens de sa classe avaient-ils réellement leur place dans ce monde ?

Enfin, après plusieurs longues secondes d'observation, Aeris se souvint qu'une présentation lui avait été faite. Le respect. Se présenter à son tour. Ses yeux reflétaient une curiosité bridée. Si ça n'avait tenu qu'à elle, la jeune femme aurait passé d'interminables minutes à dévisager celle qui se tenait devant elle. Et il était improbable de penser qu'elle lui aurait adressé la parole.

"Je suis Aeris, mais vous devez le savoir. Vous devez être ma nouvelle Aguerrie."

La leçon aurait-elle déjà commencée ?

Elle la vouvoyait. Theodor, lui, ne l'avait jamais fait. Il avait rapidement compris qu'on ne vouvoyait pas une femme comme elle, cela lui donnait trop d'importance, et d'impertinence. Généralement, les gens qu'elle croisait la rendait bonne à rien juste avec des mots. Madame de Noisia ne savait pas encore à qui elle avait à faire. A vrai dire, Aeris était déjà trop bien dressée pour porter sa haine sur une des siennes. Haine qui n'avait aucune raison d'être en cet instant précis. Elle frissonna sous l'emprise du froid.

Se sentant l'âme d'un objet de décoration, ou même d'une plante d'intérieur, la rousse se rapprocha de son aguerrie, histoire de faire quelque chose de son corps, mais aussi de mieux distinguer à qui elle avait à faire. Si ses yeux révélaient beaucoup de ses états d'âme, ceux de son interlocutrice restaient neutres. Le gris qui les désignaient les rendaient plus tristes encore, mais si tranchant que la jeune femme n'osa pas approcher d'avantage. Une certaine animosité qui ressortait de l'éclat de son regard la rendit plus méfiante encore, et elle ne put s'empêcher de continuer son inspection. Comme si un corps pouvait dévoiler les intentions d'une personne.

Reprenons, la forme de son visage. Sa démarche. La lourdeur de ses épaisses fourrures dont s'échappent deux yeux... Réprimandant un air de surprise avant de recevoir un commentaire là-dessus, la jeune femme fixa les deux yeux rouges auxquels se rattachaient un petit corps de rat. L'esprit rêveur, Aeris esquissa un sourire, mais elle fut vite réveillée par la voix de Jaelyn qu'elle regarda à nouveau avec attention.

Il y avait donc de nouveau un choix. Et chacune de ses mains tenait une proposition. Dans celle de droite, il y avait la leçon du jour. Dans celle de gauche, une relation de confiance. La rousse sourit de nouveau, mais cette fois d'un vrai sourire, de celui qui s'amuse d'une pensée intérieure qui ne sera pas révélée. Comment peut-elle espérer qu'en une soirée de parfaits discours il pourra s'établir une confiance, aussi infime soit-elle ?
En temps normal, Aeris aurait choisi, et ce sans hésiter, la première leçon, histoire d'en terminer au plus vite. Mais ce soir, elle voulait voir comment son aguerrie allait s'y prendre pour l'amadouer. Oui, ce soir, persuadée que la première leçon avait commencée, Aeris préféra s'amuser.

"Nous avons d'autres soirées pour apprendre. Je suis prête pour une soirée paisible."

Cela aurait pu paraître, vous savez, comme une phrase que les mauvais élèves lancent lorsqu'ils ne veulent pas apprendre. Mais ce n'était pas le cas. C'était juste une manière de tester son nouveau professeur. Une manière de lui dire qu'elle n'était pas prête à lui remettre son âme dans ses mains, et que la seule manière d'établir une confiance avec elle serait peut-être avec du temps et de la patience.

- Bien...

Ce fut la réponse de Jaelyn. Enfin, comme un masque qui, soudainement, sans raison apparente, se froissait et se déformait, rendant une image surnaturelle, Jaelyn sourit. Un maigre et pâle sourire, mais après tant d'instants à être resté figé, il sembla s'éclairer doucement. Une douceur sombre cependant.

- Cette soirée est la première de toutes et nous la passerons dans ce bois, à s'échanger des paroles comme deux simples sorcières, sans rôles distincts. Ainsi, je vous demanderai d'oublier jusqu'à l'aube que je suis sensée être votre Aguerrie, et moi, je ne vous parlerai pas exactement comme une Apprentie. D'égal à égal.

Un large mouvement de robes, Jaelyn tournait les talons. Le rat grimpa un peu plus vers la nuque, se camoufla sous les cheveux noirs et courts de sa maîtresse, son nez reniflant toujours l'air comme s'il recherchait quelque chose ou quelqu'un. Ou qu'il tentait ainsi de connaître Aeris, de façon animale. A nouveau, Jay n'eut aucune réaction, comme si la petite bête faisait partie d'elle. Elle se mit à marcher lentement, son corps caché sous ces vêtements ne se voyait quasiment pas, ainsi pouvait-on imaginer qu'elle planait au-dessus des herbes et des racines. La sorcière dy Lys Noir invitait ainsi la rousse à la suivre, simplement pour marcher. Jay n'aimait pas trop rester inerte et l'entourage du ruisseau restait trop éclairé à son goût, sans tronc ou rocher pour s'appuyer ou s'asseoir.

- Pour tout vous avouer, je pense que même si vous êtes mon Apprentie depuis quelques minutes, et que je suis donc dans le devoir de vous enseigner un maximum de savoir en magie, vous aussi vous pourriez m'apprendre certaines choses. Qui sait ? Votre parcours, vos expériences, vous ont peut-être apportées des choses que mon propre vécu ne m'a pas donnée...

Jaelyn espérait qu'elle partait sur une bonne base. C'était sa première Apprentie et elle pensait bien faire en agissant de la même manière qu'Eva, sa propore Aguerrie il y a quelques temps déjà. Eva avait ainsi dès le début instaurer une confiance par, en premier lieu, des paroles en l'air, des morceaux de vie un peu sans importance, avant de passer aux confidences et aux aveux. Jusqu'à aller dans l'intimité l'une de l'autre, en dehors des leçons, qui les avaient rapprochées plus qu'entre Aguerrie et Apprentie. Eva avait été son amie plus que son professeur, c'est sûrement pour cela que sa mort lui fut encore plus triste. Cependant, Jay préféra pour le moment vouvoyer Aeris. Elle-même ne voyait pas pourquoi cette marque de politesse ne devait se faire que dans un sens, surtout dans leurs débuts.





[mes posts vont s'espacer à cause de la rentrée, désolée ^^' donc désolée aussi pour ce retard.]

Le temps qui s'écoule lentement, au rythme du battement de l'eau. Comme le sang qui parcourt notre corps. Parfois vite, parfois lentement. Chaque mouvement entraine un débit différent. Chaque envie, désir, fait battre un peu plus fort le sang dans nos veines, de sorte qu'on le sent dans nos poignets, nos tempes, et notre poitrine. Va moins vite, je t'en prie...

La soirée n'a fait que débuter, pourtant, déjà, Aeris reste méfiante envers sa nouvelle aguerrie. Quitte à tout avouer, il fallait rappeler qu'elle s'attendait, en quelques sortes, à une réplique de Thedor. Mais il était mort. Et voilà qu'aujourd'hui elle se retrouvait face à une noble amourachée d'une rat, près d'un ruisseau en pleine nuit. Rien que l'idée semblait démesurément mélodramatique. Mais qui était-elle pour juger de tout cela, la petite marchande de pommes ?

Sourire sans rester figer. L'aspect étonnant de la première impression. La rousse observa sans ciller Jaelyn, sans rien apprendre de plus. Il fallait faire semblant d'aimer discuter. D'aimer sortir des phrases agréable, de poser des questions, d'être égale à celle qui vous prend de haut.
Jaelyn sourit. C'était étrange comme vision. Aeris s'était presque habituée, en quelques instant à une figure froide, fermée. La rousse suivit donc son égale pour la soirée, et l'écouta dans un silence presque religieux avant d'ouvrir la bouche en toute honnêteté.

"Alors vous m'excuserez, mais je ne suis pas habituée à faire la discussion à quelqu'un. Et je doute que bavarder quelques instants pourra nous lier dans une relation de confiance. Il faudrait pour ça, je pense, de longs mois. Ou même des années."

Aeris continuait à suivre Jaelyn et son rat, se demandant où elle l'emmenait, voire même si elle l'emmenait vraiment quelque part. Peut-être finiraient-elles par se perdre dans cette sombre nuit. Mais c'était l'histoire d'une vie. Avancer, suivre, se perdre, et se faire découvrir.



[ J'ai quelques soucis de mon côté. J'aurais un peu de mal à trouver la motivation pour poster pendant quelques temps, et puis j'aurais ma rentrée dans deux semaines, donc je vais aussi avoir des posts espacés. Pas de soucis.
J'ai fais un message court, excuse-moi. ]

Quelques pas après, Aeris répondit :

"Alors vous m'excuserez, mais je ne suis pas habituée à faire la discussion à quelqu'un. Et je doute que bavarder quelques instants pourra nous lier dans une relation de confiance. Il faudrait pour ça, je pense, de longs mois. Ou même des années."

- Oh...

Jaelyn parut désolée de cette annonce. Elle lança un regard, qui pouvait laisser croire qu'elle était attristée par cette nouvelle, et qu'elle regrettait presque d'être venue.

- Vous m'en voyez extrêmement navrée.

Le regard bas, terni, un voile nostalgique passa en travers. Les lèvres s'écartèrent, se refermèrent, hésitante à prononcer les premiers mots qu'elle pensait. Puis, elle dit, d'une traite ou presque :

- Il y a de cela quelques temps déjà, j'avais moi-même une aguerrie, et notre lien était si fort, comme deux vraies amies, ou des soeurs. Elle s'est sacrifiée pour moi.

Un soupir, lié au vent mordant la peau claire, s'échappa alors.

- Vous me voyez donc un peu peinée de me retrouver aujourd'hui en face d'une personne si... froide, disons. Distante, continua-t-elle.

Jay afficha cependant un maigre sourire, mince cicatrice tordue et blanchâtre dans ce visage anguleux aux traits si peu féminins. De l'autre, ses mains se tenaient l'une l'autre, comme pour se soutenir, se tordant légèrement les doigts parcourus de fines veines bleutées, signe que malgré son visage qui voulait avoir l'air assuré une certaine nervosité l'habitait. Jaelyn aurait préféré une personne plus simple, plus égale à elle-même, et plus proche de ses idées et ses convictions. Partir sur cette base que venait d'énoncer cette Aeris, Jay se sentait un peu perdue. Elle regrettait amèrement d'avoir espérer revivre une relation comme avec Eva et de s'être ruée sur la demande de la femme aux cheveux roux. Elle aurait peut-être dû exiger une rencontre auparavant, sans décision encore faite, et choisir si oui ou non elle acceptait seulement après avoir analyser la personne. A présent, elle était un peu "coincée", avec cette âme en marbre dont les yeux vert étincelant n'exprimait pas grand chose, ou peu de vrai selon Jay.

Comment une si belle femme, même de nature sorcière, pouvait donc exprimer une telle réticence à une relation agréable, dans la confiance et peut-être même dans la confidence ?


[aucun souci ^^]

Vous savez, il y a toujours un moment ou la carapace se fissure un peu. Rien qu'un peu, il n'y a là rien d'alarmant en soi. Mais lorsque la toute petite fissure s'agrandit, rien qu'un tout petit peu, encore une fois, certaines choses peuvent passer. Des émotions rentrent, prennent position, et jouent avec vos sentiments. Tirant souvent sur la corde de la culpabilité.
Et voilà ce qui se passait. Aeris regrettait un peu d'avoir eu un instant de froideur envers cette femme qu'elle ne connaissait même pas. Mais elle se posait la question, à savoir si elle voulait réellement connaître cette femme. Jamais, au grand jamais, elle ne lui avait demandé de devenir son amie, sa confidente, ou que savait-elle encore ! Non, elle comptait simplement sur elle pour devenir une sorte d'exemple mystérieux qu'elle suivrait, de loin, dont elle absorberait les paroles jusqu'à ce que son crâne réclame répit. Mais la culpabilité commençait à prendre le dessus.

Voilà que la rousse suivait donc un mentor qui voulait être pour une soirée une femme à son niveau, mais que savait-elle réellement du froid, de la faim et de la peur qui tiraillent les entrailles ? Alors, les yeux perdus dans le vague, regardant plus la végétation que le visage de cette Dame, Aeris prononça quelques mots qu'elle ne pensait pas prononcer un jour face à quelqu'un.

"J'ai eu moi aussi un aguerri qui s'est sacrifié pour moi, en quelques sortes."

Ce n'était pas vraiment ça. A vrai dire, Theodor ne l'avait simplement pas entrainé dans sa chute, mais cela relevait tout de même pour un sacrifice, car il aurait pu la dénoncer, et dénoncer tous les autres. Mais voilà, Theodor n'était ni un ami, ni un confident, ni un frère. C'était quelqu'un qu'elle tolérait dans sa vie, son quotidien, et qu'elle respectait profondément. Cela ressemblait à une amitié, mais ça n'en était pas une. Quelque chose de différent dont elle n'aimait pas vraiment parler.

D'une certaine manière, Aeris regrettait d'avoir un tel comportement, complètement distant avec tous ceux qu'elle croisait, mais la vie l'avait faite ainsi, et elle ressentait une difficulté particulière à exprimer ce sentiment à quiconque. Surtout ce soir, face une inconnue qui cherchait à la connaître, jouant avec ses sentiments.