Car il faut bien une raison...

Enquêteur Royal

L’après-midi filait doucement. Le soleil avait quitté son zénith depuis quelques heures. Le rendez-vous avec Europe Eléonora-Sun était pour bientôt. Au trot de son cheval, Owen réfléchissait aux détails, aux petites choses qu’il est bon de se remémorer. Quelque chose n’allait pas avec le meurtre de Laura de Montfort, et cela commençait avec Lorenzo Maestriani. Néanmoins, de nouvelles pistes devaient être creusées, notamment celle que lui avait fournie la Comtesse, Alicia. Et même si l’Enquêteur était relativement peu convaincu, il se devait d’explorer cette piste comme une autre. Ainsi il avait prit contact avec la dénommée Europe et, comme convenu, il se présenta au Manoir pour quinze heure sonnante. On l’annonça et la maîtresse de maison arriva.

« - Bonjour Madame Eléonora-Sun, merci de bien vouloir m’accorder un peu de votre temps pour m’aider dans mon entreprise. »
« - Bonjour monsieur l'Enquêteur. Entrez et installez vous, je vous en prie »
« - Je vous remercie. Connaissiez-vous Laura de Montfort ? »
« - Bien évidemment. Tout le monde connaissait Laura. Mais si tel est le sens de votre question, nous n’étions pas très proches. C’était une connaissance. »
« - Oui, apparemment j’ai cru comprendre que tout le monde connait tout le monde à Forbach. Surtout au château. D’après ce que j’ai cru comprendre, vous n’étiez pas en très bon termes avec Laura, est-ce exact ? »
« - Disons… que Laura ne faisait pas partie du cercle de mes meilleures amies. Nous avons eu des froids, c’est certain. »
« - Sur quels plans étaient vos désaccords ? »
« - Je ne pourrais trop répondre à votre question…. Les sujets étaient multiples, divers, variés. Il nous était impossible de parler de politique, d’amour, de cuisine ou de beaucoup d’autres sujets sans nous mésentendre. Nos opinions divergeaient souvent, tout simplement. »
« - De quelle manière divergeaient vos opinions concernant l’amour ? »
« - Excusez-moi. Cela a-t-il vraiment un rapport avec l’enquête? »
« - Laura était une très belle femme. Célibataire de surcroit. Je n’écarte pas la possibilité d’un amant éconduit et jaloux. Aussi si vous aviez des avis divergents quant à l’amour, peut-être en saviez-vous un peu sur ses mœurs en la matière. »
« - Je n’aime pas médire des autres. Mais je dois avouer que la réputation de Laura en la matière n’était plus à faire…. Comme votre enquête vous l’a sûrement appris, je partage la vie de Louis Institoris depuis 16 ans maintenant. Il me semble plutôt que Laura aimait le renouveau ou le changement. Mais ce sont des rumeurs de cour et il faut s’en méfier comme du poison. »
« - Vous pensez que ce n’était qu’une réputation ? Peut-être l’alimentait-elle elle-même ? »
« - C’est possible en effet. Peut-être une sorte de couverture…. Je ne sais vraiment pas. A ma connaissance, Laura était mystérieuse pour ses amies aussi. »
« - Si selon vous il devait y avoir un motif suffisant pour la tuer, lequel serait-il ? »
« - C’est une question bien difficile…. Mais je dirais l’infidélité, sans doute. Reste à savoir si cette dernière prétention est véritablement fondée. »
« - Lui connaissiez-vous des amants particuliers ? »
« - Cher inspecteur, vous m’en demandez trop! Je n’en ai pas la moindre idée et à mon humble avis, les plus proches confidentes de Laura ne le savaient pas non plus. Ce genre de secrets se défend farouchement. »
« - Sait-on jamais. Un souvenir, une réminiscence. Parfois il suffit de susciter la réponse et elle apparait, sortie de nulle part. Connaissiez-vous quelques unes de ses amies, de ses confidentes ? »
« - Je me souviens qu’elle passait beaucoup de temps avec madame la Comtesse et sa clique –Amelia Dolore, Carlyn Swann… Vous auriez peut-être plus de chances en vous adressant à Mme Maestriani. »
« - Sa clique ? Dois-je en déduire que vos relations avec la Comtesse sont loin d’être cordiales ? »
« - En effet oui. Madame la Comtesse et moi sommes réputées pour ne pas nous entendre. »
« - Pourquoi ? »
« - Nous n’avons…. tout simplement pas les mêmes valeurs. » Le visage d’Europe s’était fait sombre, ses yeux s’étaient éteints.
« - Et donc à part la clique de la Comtesse, pour reprendre vos termes, ne fréquentait-elle personne dont vous appréciiez la compagnie ? »
« - Pas dans mon souvenir, non. Je suis navrée de ne pas vous être plus utile. »
« - Certes. Aviez-vous connaissance de quelques unes de ses habitudes ? »
« - Pas vraiment… Elle apparaissait comme une personne très distinguée, polie, toujours vêtue élégamment et sachant tenir une conversation intéressante. En résumé, elle avait le profil type des nobles de la cour et sans doute le train de vie allant avec. »
« - Bien en clair, si je résume. Une noble comme une autre, bien sous presque tout rapport qui aurait été victime d’un coup du sort malencontreux. C’est bien ça ? »
« - Bien sous tout rapport? Un coup du sort? Je n’ai rien dit de tel. On peut interpréter mes propos comme vous l’avez fait. On peut aussi les interpréter par « une noble qui avait un alibi absolument irréprochable mais dont le comportement volage lui a été fatal ». Je vous l’ai dit: je n’aime pas médire des gens. Cependant lorsqu’on est une noble égarée dans cette jungle qu’est la cour, mieux vaut être rompu à cet exercice... »
« - Une noble égarée ? Laura était de celles-là ? »
« - Je parlais de moi. Je ne pense pas que Laura fut égarée à la cour d’une quelconque manière. Elle y avait plutôt sa place, elle aimait être entourée –je crois. »
« - Pourquoi parler de vous quand nous évoquions Laura ? Je ne saisi pas le lien de votre avant dernière réponse. »
« - Car vous me forcez à prononcer haut et fort des supputations médisantes que je n’ai aucune envie de prononcer inspecteur… quand bien même Laura aurait pour amant le Comte lui-même, cela ne me regarde en aucune manière. Si au contraire sa réputation volage s’avère fausse j’aurais été médisante pour rien. Une situation inconfortable... »
« - Je ne force personne à dire quoique ce soit d’autres que la vérité. Je n’ai uniquement besoin d’elle. Maintenant il est vrai que la vérité peut être désobligeante. »
« - En effet oui. La vérité peut ruiner des vies comme en sauver d’autres. Est-ce que votre enquête avance comme vous le souhaitez? Commencez-vous à entrevoir une piste? »
« - J’ai mes hypothèses. Il me faudra un peu de temps pour les vérifier ou les infirmer. J’avoue que l’Agent du Diable m’occupe un peu aussi. »
« - Dieu, cette horrible lettre de menaces! Je vous comprends. En ce moment même elle sème doute et peur chez le peuple de Forbach. »
« - Croyez-moi, il y a bien longtemps que je n’ai plus peur de telles lettres de menaces. Mais qu’importe. Souhaiteriez-vous mon départ, vis-à-vis de ces mêmes menaces ? »
« - Très honnêtement? Je ne sais pas. Je n’ai jamais été douée pour prendre des décisions de cette envergure dans les situations d’ultimatum et je me réjouis que mes fonctions –noble et écrivain- ne m’y confrontent pas. En tout cas, la décision vous revient seule. »
« - Vous écrivez ? »
« - De moins en moins. Mais oui. Je peux vous faire une ristourne sur quelques unes de mes œuvres si vous voulez. »
« - Peut-être lorsque cette affaire sera résolue. Avec plaisir. Bien, je ne vais pas vous déranger outre mesure. Nous nous reverrons surement. »
« - Revenez quand vous voulez monsieur l’inspecteur. Et bonne chance pour votre enquête. »
« - Une dernière chose. Avez-vous tué Laura de Montfort ? »
« - … je vous demande pardon ? ! »
« - Avez-vous tué Laura de Montfort ? »
« - Premièrement, non, je n’ai pas tué Laura de Monfort. Et deuxièmement, si je l’avais tuée je ne penserais pas à me dénoncer simplement parce qu’on me pose la question! »
« - Votre analyse est fine. Toutefois, qui ne tente rien n’a rien. N’est-ce pas ? Bonne fin de journée Madame Eléonora-Sun. »
« - Au revoir monsieur. »