Procès interne

Fugitive

[Précédent = Certaines choses sont immuables]

Pour une fois, la lassitude et la résignation n’étaient plus de mise. Pour une fois, c’était la colère qui envahissait l’esprit d’Europe, une colère froide et sournoise, qui lui donnait envie de se hisser tel un vautour au-dessus de la culpabilité et de la frayeur des autres. Mais enfin! Si elle mettait en place des règles, surtout si strictes, ce n’était aucunement pour servir de décoration mais pour qu’on les respecte! Ces mesures étaient nécessaires, Europe les avaient prises en son âme et conscience, et de savoir que quelqu’un les avait violé en secret sans justification valable qui plus est, ne contribuait pas franchement à la mettre dans de bonnes dispositions.

Elle n’avait pas de grief particulier contre la fille du défunt Vicomte Adrien d’Hasbaueur. Au contraire, la progéniture de son plus fidèle ami, lequel avait fait don de sa vie pour sauver la sienne, était toujours apparue jusqu’à ce jour aux yeux d’Europe comme un être un peu sacré, le seul vestige physique qui confirmait qu’Adrien avait bel et bien été en vie à une époque lointaine. Et la Grande Prêtresse avait toujours veillé de loin sur Alexandrine, gardant un œil attentif sur elle, toujours disposé à aider Elisabeth lorsque celle-ci lui demandait du soutien. C’est pourquoi aujourd’hui, le fait de « s’attaquer » à la descendance du Vicomte lui procurait une sensation très étrange; à la fois celle de profaner quelque chose et celle d’avoir justement la volonté inébranlable de punir l’auteur du crime surtout si il s’agissait d’Alexandrine.

C’est pourquoi Europe avait, quelques jours auparavant, tenu un conciliabule secret en compagnie de Viviane et Inès, s’abstenant volontairement d’inviter Elisabeth qui, à n’en pas douter, lui mettrait des bâtons dans les roues en prenant la défense de sa fille. Après leur avoir longuement exposé les faits, insistant sur leur caractère gravissime, la Grande Prêtresse était partie dans un discours éloquent pour les convaincre, toutes les deux, de leur accorder son appui lors du futur procès. Au final, Europe avait été impressionnée par ses propres talents d’oratrice. Rallier les deux Prêtresses à sa cause n’avait été au final pas grand chose de plus qu’une simple formalité. Viviane était son amie et elle lui faisait confiance, suite à cet entretien houleux qu’elles avaient eu toutes deux au manoir Eléanora-Sun quelques temps auparavant. Quant à Inès, cette toute jeune gradée qu’Europe avait promue surtout pour soulager sa conscience, elle était inexpérimentée et de beaucoup trop bonne composition pour s’apercevoir de la volonté manipulatrice dissimulée derrière les propos d’Europe. Oui, seule Elisabeth restait présentement une menace et c’est pourquoi la Grande Prêtresse l’avait sciemment écartée du débat.

Puis quelques jours plus tard elle avait sommé par écrit, d’un ton péremptoire, à quelques personnes de la retrouver instamment pour une affaire des plus urgentes. Viviane et Inès seraient donc présentes ainsi que, bien sûr, Alexandrine, mais également Marina, en qualité de témoin. Europe se réjouissait de savoir qu’au sein de la tribu encore quelques âmes lui étaient fidèles, et elle louait la loyauté de Marina.
Le jour même du rendez-vous, la Grande Prêtresse arriva la dernière, un geste destiné à mettre volontairement Alexandrine mal à l’aise; celle-ci avait reçu sa convocation peu de temps auparavant et ne devait pas comprendre pourquoi toutes ses supérieures l’observaient ainsi, le visage grave. Europe prit tout son temps pour prendre la parole, la laissant cultiver l’angoisse et le doute, ressentir les prémices de la peur. Puis elle observa la jeune fille, terrible, du sommet de sa haute stature.

"Je pense avoir été une Grande Prêtresse magnanime, compréhensive envers les siens. Je me suis toujours efforcée de m’intéresser aux membres de ma tribu, au cas par cas, faisant parfois fi des règles… j’ai accepté beaucoup de choses. Mais si il y en a bien une que je ne tolère pas, c’est l’insubordination." Europe s’interrompit, laissant un silence terrible et gênant s’installer entre les personnes présentes, s’épaissir jusqu’à coaguler. Elle fronça les sourcils, ceux-ci dessinant au dessus de ses yeux un arc menaçant.

"Alexadrine, tu es aujourd’hui ici pour répondre de tes actes. Ne crois pas que parce que je suis mortelle comme toi, je n’ai pas des yeux et des oreilles partout. Tel est mon rôle après tout, en tant que dirigeante. Je sais pertinemment que tu as eu une longue correspondance, avec un jeune homme qui s’est avéré être membre du Lys Noir. Pire, tu as frayé avec le rejeton en personne de ce serpent d’Alicia, allant même jusqu’à le rencontrer physiquement, alors que tu savais pertinemment que cela était strictement prohibé!" Le ton de la Grande Prêtresse était monté et elle ne parvenait plus à contenir son ressentiment. Elle avait volontairement omis de raconter que c’était une des suivantes d’Elisabeth qui l’avait informée des lettres d’Adal. Mieux valait laisser planer le doute, laisser croire qu’elle était omnisciente. Europe désigna Marina d’un geste de la main.

"Ne tente pas de nier, car tu as été vue!" Elle se tut, croisant résolument les bras tout en continuant de fixer Alexandrine dans une tension palpable. Si tout se déroulait comme prévu, le plan ourdi par Europe marcherait à merveille. Marina commencerait par témoigner, dire ce qu’elle avait vu exactement, prouvant à Alexandrine qu’il n’y avait pas d’échappatoire. La fille d’Elisabeth allait alors se défendre, se justifier, bafouiller, s’empêtrer… s’apercevoir qu’elle avait purement et simplement désobéi. Une des Prêtresses qui parlerait ensuite lui ferait comprendre que son crime n’était pas susceptible grâce, qu’elle s’était rendue coupable, qu’elle avait jeté le déshonneur sur la tribu et qu’il fallait payer. Et l’autre Prêtresse qui viendrait en suite lui proposerait LE plan, celui proposé originellement par Europe, la seule chance de salut… Tout allait pour le mieux.

[Voilà les filles^^ Sorry, j'instaure un tour de post pour le premier tour dans un souci de cohérence, vous l'aurez compris ça sera dans l'ordre: Marina, Alexandrine, puis Viviane ou Inès (à vous de voir;)) Après ça on sera libre de poster dans l'ordre que l'on veut. Enjoy!]

Oblivius

Marina avait laissé sa fille seule à la maison, elle ne devait ouvrir à personne et rester tranquillement à l'intérieur. Noéline était une petite fille très sage, et obéissante avec ça.
C'était étrange mais la bijoutière en vint à faire le lien avec Europe et elle-même, sage et obéissante.
Oui, Marina avait été témoin d'un acte interdit au sein du clan Olrun. Mais devait-on dénoncer ses amis pour garder les bonnes grâces de la dirigeante d'Olrun ?
La culpabilité la menaçait dangereusement, ainsi, lorsqu'elle arriva pour le procès interne d'Alexandrine, Marina avait une boule dans l'estomac, lui donnant envie de fuir. N'osant croiser son regard, la bourgeoise regardait le mur en face d'elle, attendant son tour pour agir contre Alexandrine, fille de son aguerrie, de celle qui lui avait tout apprit.
Marina hésitait, était partagé entre devoir et culpabilité, car comme dans beaucoup de choses - pour ne pas dire toute - il y avait du bien et il y avait du mal.

Voir Alexandrine agir de la sorte, la voir de ses propres yeux, avait été très dur pour Marina. Europe tandis la main vers elle, c'était donc à son tour de s'exprimer.

S'étant avancée quelque peu, Marina commença son témoignage.

"Je me promenais dans la forêt, comme à mon habitude. J'aime écouter les arbres vivre et respirer. Alors que je me reposais, assise contre un arbre, j'entendis une voix qui me parut familière, discrètement je me suis alors redresser, et... J'ai vu Alexandrine. "

C'était un souvenir blessant... La jeune fille se tenait si près de ce serpent, comment avait-elle put... La culpabilité s'effaçait petit à petit pour laisser place au sentiment de trahison.

" Avec Adal." ajouta t-elle froidement en regardant enfin la jeune fille dans les yeux. Donner pour donner...

C'était blessant... Alors, comme pour saigné encore plus son âme meurtri, les souvenirs vinrent s'emmêler. Alexandrine avait suivit beaucoup de cour en même tant que Marina. Après la mort d'Adrien, Elisabeth avait voulu enseigner la magie à Alexandrine. Les deux jeunes filles, si elles n'étaient pas aussi proches que de vraies amies, se connaissaient assez bien et se faisait confiance.
La confiance... Marina avait-elle trahi Alexandrine ? Il était vrai que les règles d'Europe était très strictes, mais, c'était pour le bien de la tribu, pour notre protection, pour notre survie. Et même si Marina n'adhérait pas forcement à tout les principes d'Europe... Elle était la dirigeante, et le fait de ne pas fréquenter l'ennemi, la cause de beaucoup de souffrance au sein du clan, était tout à fait normal. Même si Marina aimait beaucoup Alexandrine, la trahison venait d'elle. Il n'y avait plus de confiance...

Les larmes lui montaient aux yeux.

"Tu nous as trahi Alexandrine... Que va penser ta mère... Ça me fait mal. Tu me déçois...
Tu nous as trahi ! Tu nous as trahi ! Tu trahi ton propre clan, ta famille, pour un garçon, un serpent ! Le fils d'Alicia !"

La voix de Marina s'élevait, forte, rempli de haine envers une personne que l'on pensait fiable, une sœur... Pourtant sa voix paraissait plus blessé que coléreuse.
Marina recula lentement, attendant avec une certaine appréhension les paroles d'Alexandrine. Allait-elle se rattraper ? Parvenir à obtenir un pardon ? Ou peut-être être encore plus décevante aux yeux de Marina ?

Aguerri(e)

La lettre en elle-même ne l’avait pas surprise, il arrivait au clan de se réunir de façon plutôt informelle hors des grandes cérémonies pour divers questions d’ordre courant à réglées. Pourtant lorsque qu’elle avait ouvert la convocation, le fait que ces lignes aient été écrites de la main d’Europe elle-même la surpris fortement. D’habitude, les personnes haut-placé ne faisaient pas de tels écrits et ce dans le but de se protéger si le message était intercepté. Est-ce que l’heure était grave ?

Elle rangea la lettre et contempla le bassin se trouvant face à elle, devait-elle remonter passer prendre sa mère ? Et puis, non, elle n’était plus une enfant, elles se retrouveraient là-bas.

Elle fit seller son cheval et partie tranquillement à la clairière. Elle était un peu en retard mais visiblement c’était encore plus informelle qu’elle aurait pu le penser, voir même très privée puisque seulement quelque rare personne du clan étaient là… uniquement trois en fait, Viviane, Inès et Marina. Elle prit place à l’endroit que lui indiqua Viviane, visiblement elle n’était pas dernière. Cela l’étonna d’ailleurs que sa mère ne soit pas encore là, elle qui détestait arriver en retard. Lorsqu’Europe arriva et la toisa du regard, elle sut que quelque chose n’allait pas et elle commença à se sentir mal à l’aise. Alors que la Grande Prêtresse commençait son discours, elle repensa à ce que lui avait enseigné sa mère : il n’est d’arguments qu’on ne peut réfuter, encore faut-il être calme et avoir bien écouté ce que l’autre avait dit. Aussi elle prit une grande respiration, baissant les yeux écoutant les griefs qu’Europe énuméraient. Dès que celle-ci avait pris la parole, Alexandrine avait senti qu’elle n’allait pas faire son éloge, sentiment accentué par le fait que sa mère n’était pas conviée. Si Elisabeth n’était pas là c’était bien parce qu’on comptait s’en prendre à elle, non ?

Et effectivement, c’était bien le cas, d’abord Europe et pire, Marina ! La jeune fille était outrée et elle ne cacha pas le fond de sa pensée dans la mesure où cela pouvait nettement se voir sur son visage. Le fait qu’on l’accuse de trahison, c’était tout bonnement de la folie. Elles avaient toutes les deux perdues l’esprit ! Alexandrine espéra que les deux autres personnes présentes avaient encore toutes leur faculté.

Finalement, lorsqu’elle prit la parole après les hurlements d’accusation de Marina, elle s’exhorta au calme, même si on sentait la colère pointer dans sa voix.

"Vous avez organisé tous ceci à la hâte. Je vais répondre dans l’ordre, pour commencer, il n’y a eu aucune correspondance. Mais je pense savoir à quels courriers vous faites référence, ces lettres étaient anonymes, je n’ai donc pu y répondre, donc, cela ne peut en aucun cas être une correspondance ! Quant à leur auteur et bien je n’ai pas la moindre idée de qui il peut s’agir, mais j’ai plusieurs fois reçu ce genre de courrier et cela ne me touche plus guère."

Heureusement pour elle, plus elle parlait et plus ses paroles s’emplissaient de colère, cela était une bonne chose car le mensonge passa alors inaperçu.

"Si effectivement comme vous le prétendez, ces lettres viennent du fils d’Alicia, alors je m’en vais les brulé de ce pas… ou vous les remettre si vous préférez ?"

Naturellement, elle ne bougea pas, elle n’avait nullement l’intention de quitter ce simulacre de procès avant que tout ne soit éclaircie !

Alexandrine savait que les lettres ne pouvaient en rien l’incriminer, la dernière fixant le rendez-vous avait été détruite par elle et il n’y avait à présent plus que la toile qui représentait un danger certain… mais visiblement ses juges ignoraient ce détail. Aussi elle ne s’inquiétait outre mesure.

Et puis elle se tourna vers Marina, le regard plein d’incompréhension.

"Je pensais que tu étais mon amie ! Et je ne dis pas cela car tu m’accuses, mais parce que tu n’es pas venue m’aider lorsque j’aurais eu besoin de toi !"

Ses yeux commencèrent à se remplir de larme. Cela n’était pas feint, ce qui lui revenait à cet instant en mémoire, c’était le moment où elle avait cru qu’elle allait mourir et que personne n’était là pour l’aider. Et finalement si, il y avait eu quelqu’un qui aurait pu l’aider !

"J’ai eu la peur de ma vie ce jour-là ! Pourquoi n’es-tu pas venue m’aider ?"

Cela sonnait bel et bien comme un reproche et s’en était un !

"Je me suis blessée…"
Elle souleva légèrement sa robe et montra par la même le bandage qu’elle portait encore à sa cheville. Même si cela allait beaucoup mieux, ce n’était pas encore tout à fait remis.
"… en me promenant en forêt. Mon cheval était loin aussi j’ai décidé de me reposer un peu avant d’essayer de le rejoindre. Je pense que j’espérais probablement que quelqu’un passe également."

Elle baissa les yeux en prononçant cette phrase, avouer qu’elle avait attendu de l’aide revenait à avouer qu’elle était faible, tout du moins à ses yeux. Son regard furieux se tourna de nouveau vers Marina.

"Mais personne n’est passé, hormis lui !"

Elle se tourna alors vers ses pairs.

"J’ai cru qu’il allait me tuer ! Et je ne pouvais pas m’enfuir, je ne pouvais rien faire et personne ne savait que j’étais partie me promener en forêt. "

Elle se redressa, affichant presque du dédain pour l’assistance.

"Alors j’ai fait ce qu’il fallait pour rester en vie, dans la mesure où je savais qu’il était peu probable que quelqu’un vienne à mon secours !"

Une larme coula sur son visage, Alexandrine restait persuadée qu’elle avait fait face à la mort ce jour-là et elle avait été seule ! Mais au finale, elle s’apercevait aujourd’hui que c’était faux, en fait elle avait été abandonnée… s’adressant particulièrement à Europe et Marina, mais n’osant pour autant pas le dire haut et fort.

"Qu’importe ce qui sera décidé en ce lieux, je sais maintenant quels sentiments on ressent lorsqu’on est trahie."

Alexandrine attendit la suite des évènements, tête haute, sachant qu’à présent plus rien ne pourrait l’amener à faire de nouveau confiance à Europe ou à Marina… pour l’instant, elle n’en voulait qu’à ces deux personnes, attendant de voir ce que les deux autres allait faire ou dire…

Vieille peau fripée à pustules

- Tu te trompes !

Ces mots étaient tombés comme un couperet, Viviane avait parlé d’une voix sèche, dure, qui ne lui ressemblait guère. Mais sa colère lui semblait justifiée. Alexandrine avait commis une faute, et une faute grave. Adal savait qui elle était, ce qu’elle représentait pour la Tribu d’Olrun, et l’inverse était vrai également. Alexandrine savait qu’elle n’avait pas le droit de lui accorder même un seul regard. Et peu importe qu’il lui ait sauvé la vie, elle aurait dû le remercier, et tout se serait arrêté là. Elle n’avait aucune excuse valable pour son comportement, même si elle essayait de le faire croire. Viviane était incapable de déterminer quel sentiment lui inspirait le plus Alexandrine : la colère ou la déception ?

- La seule personne qui ait trahi les autres ici, c’est toi. Par une simple conversation avec Adal, tu nous a toutes mises en danger. Tu sais comment la Comtesse est, ce qu’elle veut, combien de vies elle a déjà prises par ses folies !

Elle bouillonnait littéralement et paradoxalement, se sentait terriblement triste. Encore une fois, les événements donnaient raison à Europe concernant les mesures de sécurité qu’elle prenait. De temps en temps, dans ce bas-monde, ne pouvait-il arriver quelque chose de bien ? Toute la vie de Viviane n’avait été qu’une lutte permanente, et c’était lassant. Elle n’avait plus la même énergie, plus la même envie. Elle aspirait au calme et à la tranquillité, tout simplement.

- Écoute Alexandrine, je suis heureuse qu’il t’ait sauvé la vie, mais tu aurais pu te contenter d’un merci et t’en aller. Or tu ne l’as pas fait, et c’est ça qu’on te reproche ! Tu t’es rendue vulnérable auprès de lui, et par ce fait même, tu NOUS as rendues vulnérables !

L’indignation se lisait probablement sur son visage, elle ne comprenait pas la réaction d’Alexandrine, il était normal qu’un conseil se tienne après une telle révélation. Personne ne l’avait trahie, elle s’était exposé toute seule au danger. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Au fond d’elle pourtant, Viviane entendait une petite voix qui lui disait que rien de tout cela n’était réellement grave et qu’il avait quand même sauvé la vie d’Alexandrine, cet Adal. Il aurait très bien pu ne pas le faire et la laisser mourir seule dans la forêt. Elle ne comprenait même pas pourquoi il avait pris la peine de sauver une sorcière ennemie jurée de sa propre mère. Cette même mère qui n’hésiterait sans doute pas à tuer son fils si elle l’apprenait. Quelque part, tout ceci était absurde.

Au final, Europe avait bien plus de pouvoir sur elle que Viviane ne voulait bien l’admettre. Sans la Grande Prêtresse, Viviane se serait contentée d’un sévère avertissement. Mais ce qui se passait ici était bien au dessus de tout cela, Europe semblait décidée à sanctionner Alexandrine, et Viviane n’aurait pas la force de s’opposer à elle.

- Je suis désolée Alexandrine, mais je ne peux pas faire comme si rien ne s’était passé, personne ne le peut.

À côté d’Europe, Inès avait un visage grave. C’était à son tour de parler maintenant. Et Viviane se demanda quelle allait être son parti dans toute cette histoire...

L’absence d’Elisabeth pesait. Viviane en parlerait à Europe après. Ce n’était pas normal qu’elle ait exclu de la sorte l’une de ses prêtresses, même si celle-ci était concernée de trop près par ce qu’il se passait. La place d'Elisabeth était ici, au côté de sa fille et non reléguée à quelque obscure tâche pour la tenir éloignée d'un procès dont l'issue était déjà connue. Europe ne céderait, Viviane se sentirait incapable d'aller contre elle et Inès ne pourrait s'opposer à elles deux si c'était ce qu'elle désirait...

Prêtresse

J'étais tranquillement chez moi, en train de concocter une potion de ma création (un philtre permettant d'accélérer la pousse des cheveux, à base de fleurs des champs) lorsque je reçus une missive d'Europe qui me demandait de la rejoindre dans la clairière pour le procès d'Alexandrine.
J'avais déjà été mise au courant de la situation et c'était avec horreur que j'avais appris que la jeune femme avait eu une conversation avec le fils d'Alicia.

J'étais arrivée la première sur les lieux, puis Viviane m'avait rejointe peu après. Ensuite, ça avait été Marina, puis Alexandrine. Europe n'était arrivée qu'en dernier, sans doute pour augmenter l'angoisse de la coupable. La Grande Prêtresse avait parlé, Marina avait témoigné, puis Alexandrine avait eu la parole, mais au lieu de demander pardon pour son acte, qui aurait pu causer la perte de la Tribu d'Olrun, elle accusa Marina de ne pas lui être venue en aide.
Même si je gardai mon calme en apparence, mon sang bouillonnait. Je serrai les poings.

Puis Viviane prit la parole, l'accusant une nouvelle fois. Lorsqu'elle eut terminé, un silence de mort s'imposa. Je ne le rompis pas immédiatement, même si j'avais conscience que tous les yeux étaient désormais braqués sur moi, attendant ma propre réaction. Mon regard se porta sur l'accusée alors que je prenais la parole.

"Mes soeurs ont raison, Alexandrine. Ton acte inconscient aurait pu nous causer bien plus de mal que tu ne le penses. Tu t'es montrée irresponsable, et pour cette raison tu devras être punie..."

Je fis quelques pas vers elle, le ton de ma voix radouci, mais le regard grave. Ce que j'allais lui dire ne lui ferait certainement pas plaisir, mais elle n'aurait guère le choix, et cela, je le savais.

"Nous avons toutefois décidé de te laisser une chance, une seule, de te rattraper."

Je me tus. Le silence se faisait pesant, mais c'était le but recherché.

"Le Livre de Lumière", lâchai-je soudain.

Je fis un pas de plus en sa direction.

"Ramène-le nous et tu seras pardonnée."

Je reculai alors, reprenant ma place auprès de mes soeurs.

"Tu dois convaincre Adal de te le remettre. Si tu refuses, ou si tu échoues, sache que ta punition sera un exemple."

Je détestais l'idée d'avoir prononcé ces menaces, ce n'était pas dans ma nature, bien au contraire. Pourtant, c'était là mon devoir que de faire comprendre à la demoiselle quels étaient les enjeux de sa condamnation. Elle devait savoir à quoi s'attendre, qu'elle accepte ou pas notre proposition.
Je décidai de ne rien ajouter, la laissant réfléchir à ce qu'elle allait finalement décider. Peut-être qu'Europe ou Viviane allait ajouter quelque chose, histoire d'appuyer ma proposition et de faire comprendre à Alexandrine qu'elle n'avait pas vraiment la possibilité de refuser...

Aguerri(e)

N’avait-elle rien écouté de ce qu’elle avait dit ? Cette pensée s’était imposée lorsqu’elle avait entendu les paroles de Viviane. Adal ne lui avait pas porté secours ! Il lui avait juste imposé sa présence, alors qu’elle ne pouvait s’enfuir. Alors même qu’elle avait été plus vulnérable que jamais et qu’elle aurait pu mourir si elle avait croisé le chemin de quelqu’un d’autre, elle avait finalement eu de la chance de tomber sur lui.

Cela pouvait être bizarre comme l’esprit pouvait occulter certains détails en de telles circonstances, comme par exemple le fait que cette rencontre n’était pas un hasard mais bel et bien un rendez-vous qui avait été donné. Peut-être était-ce juste qu’elle n’avait pas envie de s’avouer qu’elle s’était mise en danger elle-même inutilement.

Elle le réalisa encore plus lorsque ce fut au tour d’Inès de prendre la parole. En fait c’était ça le véritable enjeu de tout cela, c’était également pour cela que sa mère n’avait pas été conviée. Qui ne savait pas dans le clan, qu’hormis celle de Viviane, toutes les tentatives pour récupérer le Livre s’étaient soldées par la mort de sorciers et sorcières du clan ?

Dans un premier temps, elle ne pu réagir, n’étant pas certaine d’avoir bien compris ce qu’on lui demandait. Avait-elle bien entendu ? Ses pairs voulaient qu’elle abuse de la confiance de quelqu’un et qu’elle se mette volontairement en danger pour le Livre ? C’était bien cela ? Non, elle ne pouvait que se tromper ! Pourtant elle devait se rendre à l’évidence…

A ce moment, c’est un sentiment de colère qui prit le dessus, comment pouvaient-elles vouloir sacrifier une vie pour une chose aussi futile qu’un Livre ? Naturellement, Alexandrine ne connaissait rien de cet ouvrage et elle le voyait comme un recueil de recette et non pas comme une puissante relique appartenant au clan depuis toujours. Puis la fierté prit le relais, elle se leva doucement, toisant du regard ses juges sans aucune peur, avec toute la noblesse qui caractérisait la demoiselle.

"Comment osez-vous me demandez une telle chose ? Les morts précédentes n’ont pas suffit à vous faire comprendre que votre obsession à récupérer ce Livre est totalement illusoire. De plus, je ne peux amener cet ennemi à me faire confiance pour ensuite le trahir. Mon père ne m’a pas élevé comme ça !"

Puis elle se rassit, rien de ce qu’elles pourraient dire à présent ne la ferait renoncer, elle avait pris sa décision et n’en démordrait pas. Qu’aurait pensé son père, Adrien d’Hasbauer, de ce stratagème digne de vil manipulateur, aucune chance qu’elle se laisse entrainer là dedans !

Qu’importe ce qu’il en couterait, son père avait bien donné sa vie pour elle, il n’était pas question qu’elle le trahisse en allant contre ses principes, elle préférait encore le rejoindre dans la mort !

Elle attendait maintenant la réaction des personnes qui lui faisaient face. Quoiqu’il puisse advenir, elle était calme et déterminée. Elle savait qu’elle avait pris la bonne décision, aussi rien ne pourrait la faire changer d’avis. C’était la détermination qui pouvait maintenant se lire dans son regard, une détermination sans faille.

Alexandrine sentit son cœur se gonflé de fierté d’avoir osé braver la demande des chefs du clan, elle était une Hasbauer et elle n’était pas impressionné par ce simulacre de procès qui n’avait pour but que de la piégée et ce uniquement pour ramener une antiquité pour faire beau dans une vitrine !

*Alors quels vains arguments allez-vous essayer d'utiliser ? A moins que vous ne vous abaissiez au chantage... Franchement, c'est lamentable ! Pour un peu, j'aurais presque honte de faire partie de ce clan !*

Voilà comment Alexandrine percevait tout cela.

Fugitive

Pouvait-on dire que le plan s’était déroulé comme prévu? Europe en doutait. Dire que ses subordonnées avaient fait exactement ce que leur Grande Prêtresse attendait d’elles, voilà qui semblait plus approprié. Mais la dirigeante d’Olrun n’avait pas prévu, mais alors, pas du tout, la verve avec laquelle se défendrait Alexandrine d’Hasbaueur face à des accusations que, pourtant, Europe estimait fondées. Le témoignage de Marina avait été parfait: précis et vivant, avec une pointe de pathos que la Grande Prêtresse n’avait pas ordonnée mais qui était vraiment tombée à pic, renforçant l’ambiance mal à l’aise, acérée du procès. Face à ces propos diffamatoires mais légitimes, face à ces regards scrutateurs, furieux ou contrits, la descendance d’Adrien s’était cambrée, avait riposté, déclamant la partialité de ce jugement et son caractère bien trop précipité pour être équitable. Lorsqu’elle entendit ces paroles, Europe eut l’impression subite de se retrouver en lieu et place des Inquisiteurs, lors de centaines de procès expéditifs menés contre des Sorcières dans les années précédentes. Cependant, toutes les personnes ici semblaient la soutenir et c’était là un indicible réconfort.

Alexandrine invoqua tous les arguments qui lui passaient par la tête et qui auraient pu servir à prendre sa défense. Europe savait comment était la fille du Vicomte –entière, spontanée, libre-penseuse- mais elle ne s’était pas attendue à une fronde de ce genre. Non, elle avait tout simplement imaginé qu’Alexandrine, se rendant compte de la gravité de ses actes, s’assagirait et se soumettrait à la providence olrunienne, incarnée par la personne d’Europe elle-même et ses sentences qui avaient bien sûr autorité absolue de chose jugée. Mais tel n’avait pas été le cas, au contraire. La Grande Prêtresse eut une moue renfermée, insatisfaite. Elle aurait du prévoir que le caractère déterminé et impulsif de la progéniture d’Hasbaueur ne serait pas mis de côté. Et Europe savait pourquoi.

Heureusement qu’elle n’avait pas convié Elisabeth à ce procès! Les excuses, les argumentations, les justifications défilaient et semblaient se tenir de façon logique, mais rien n’était rationnel dans l’esprit d’Europe qui ne concevait de l’attitude insoumise de la jeune fille qu’une colère grandissante. Fort heureusement, Viviane intervint à ce moment là et la Grande Prêtresse fut soulagée de l’entendre exprimer à voix haute ce qu’elle-même pensait. Comment songer qu’Adal avait pu approcher Alexandrine sans arrières pensées, en sachant pertinemment qui elle était? Il était le fils d’Alicia. Le ventre d’Alicia. Le sang d’Alicia. Sa seule naissance était une faute aux yeux d’Europe, sa lignée le plus grand crime qu’il commettrait jamais. Oui, l’attitude d’Alexandrine avait mis tout le monde en danger, mais celle-ci ne semblait pas prête de le reconnaître… Et Europe savait pourquoi.

Enfin, après l’intervention d’Inès qui avait joué son rôle à la perfection (Europe se félicitait de plus en plus de l’avoir nommé au poste de Prêtresse), la réponse d’Alexandrine tomba comme un couperet. Un grand silence atterré tomba sur la Clairière tandis que la dirigeante d’Olrun écarquillait les yeux, certaine d’avoir mal entendu. Non seulement Alexandrine venait d’opposer un refus catégorie, mais en plus elle se permettait encore une attitude irrévérencieuse? C’en était trop! La Sorcière sentit sa colère exploser.

"Ton père est MORT!" beugla-t-elle en écartant les bras. "Tu n’es qu’une petite insolente! En traitant nos efforts d’illusoires, tu craches sur tous les dangers qu’a couru Viviane et sur tous les défunts qui ont tenté de récupérer le Livre en le payant de leur vie! Jamais il ne m’a été donné de voir une gamine faisant preuve de moins d’honneur et d’autant de culot!"

Europe était répulsée, révoltée. Elle n’en revenait pas de l’impudence et de l’insubordination avec laquelle Alexandrine prenait la situation. Toute trace de culpabilité, pour avoir manigancé ce procès arbitraire et hâtif, disparut soudain, remplacée par une froide et juste colère. Jamais la jeune fille n’avait aussi peu ressemblé à Adrien, du moins aux yeux de la Grande Prêtresse. Oui, elle ne semblait pas prête à reconnaître l’autorité de son Clan, ni faire des sacrifices pour lui, ni même le moindre effort de quelque nature que ce soit.
Et Europe savait pourquoi.
Elle venait de comprendre pourquoi.

"Je dois avouer que ta décision me choque, mais après réflexion, ce n’est pas si surprenant. Tu n’as jamais eu le moindre sentiment d’appartenance à Olrun, Alexandrine. Tu n’as jamais considéré la Tribu comme ta propre famille, alors que nous tous ici, faisons preuve à son égard d’une loyauté sans borne. Tu as toujours fait le minimum syndical, mais tu n’as jamais eu le sens du devoir envers celles qui étaient sensées être plus que tes amies: tes sœurs. Oui, tu n’assumes jamais tes responsabilités de gaieté de cœur, car tu n’as pas sciemment choisi d’appartenir à cette Tribu –le pire étant que tu l’as toujours revendiqué!
Soit. Je peux concevoir qu’un individu qui ne soit pas entré volontairement dans la fraternité, n’ait pas l’intention d’y dédier sa vie ou de mourir pour les autres. On ne peut reprocher à quelqu’un de ne pas avoir envie d’être une Sorcière Mais dans ce cas là, tu t’es trompée de vocation, Alexandrine. Et il est grand temps, depuis toutes ces années, de remédier à cette erreur! Inès t’as dit que si tu refusais ta seule chance de salut, nous ferions de ton cas un exemple. Si tu as si peu d’engouement, tu ne verrais aucune inconvénient à ce que nous te fassions… ou plutôt, non, tu n’as plus le choix désormais…"

Europe marqua une pause, son regard se fit terrible.

"… à ce que nous te fassions subir le rituel d’amnésie".

La Grande Prêtresse resta de marbre et ne frémit même pas sous les silences choqués, les regards ahuris. Au contraire, elle affichait une expression mentionnant clairement l’idée « comme ça tu pourrais quitter le Clan, mais il faut assumer ».
Au fond d’elle même, Europe n’avait aucune envie ni même aucune intention de mettre sa menace à exécution. C’était uniquement un coup de bluff, une manœuvre d’intimidation sensée mettre Alexandrine au pied du mur. Mais elle n’avait pas prévu de devoir en arriver là et, pour que son mensonge semble crédible, elle ne pouvait indiquer à Inès et Viviane qu’elle n’était pas sérieuse. Tant pis… elle passerait pour une mégère tyrannique auprès de ses plus fidèles collaboratrices.
Ce ne serait qu’une fois de plus.

Prêtresse

J'écarquillai les yeux à la réponse d'Alexandrine. Nous lui avions offert une chance de se racheter, de nous prouver sa fidélité, et elle venait de la refuser effrontément ! Je sentis la colère monter un peu plus en moi, mais avant que je n'ai eu le temps de protester, Europe prit la parole. Ses propos auraient pu paraître choquant hors du contexte actuel, mais ici ce ne fut pas le cas. Je restai abasourdie par la réaction qu'avait eu Alexandrine à ma proposition. Comment avait-elle pu être aussi insolente ?

Je serrai les poings, en silence. Lorsque la Grande Prêtresse termina sa première tirade, je posai ma main sur son bras brièvement, pour qu'elle garde son calme. Cela sembla fonctionner, puisqu'elle repris un ton plus posé, bien que toujours énervé, et accusa la jeune femme de ne jamais avoir considéré la Tribu comme sa famille. Comment cela aurait pu être possible ? Je ne comprenais pas que l'on puisse être membre d'Olrun et ne pas considérer les autres sorcières du Clan comme ses propres soeurs.

Puis Europe annonça à la fautive quelle allait être sa punition.
Le silence se fit à l'annonce de la sentence. Le rituel d'amnésie ? Bien que je trouvai cette punition très dure, je ne pipai mot. Ainsi allaient les choses.
Quelques minutes d'un silence pesant suivirent l'annonce de la grande Prêtresse, puis je pris la parole de nouveau.

"La sentence est tombée. Alexandrine, comprends-tu bien ce qui t'attend ? Refuses-tu toujours notre offre ?"

J'espérai de tout coeur qu'elle change d'avis, je n'avais absolument pas envie de lui faire subir ce long rituel, mais je savais que si elle s'obstinait, je n'aurai plus le choix, je devrai me plier aux ordres d'Europe...

Vieille peau fripée à pustules

Viviane eut pitié d’Alexandrine. Tout aussi tranchants qu’avaient été ses propos, elle ressentait une vive émotion à l’idée qu’Alexandrine refuse l’offre de salut qui lui était offerte. La petite ne comprenait-elle donc pas qu’elle n’avait pas le choix ? Il y a près de trente ans de cela, Cassandra aurait sans doute aimé avoir le choix, mais on ne lui avait laissé aucune chance ! Elle avait perdu quinze années de sa vie à cause de cela, et Alexandrine était prête à endurer un sacrifice, après tout ce que son père avait fait pour elle ? Non, il était hors de questions qu’il soit mort en vain.

Peu importe les insultes qu’Alexandrine venait de dire à l’encontre de la Tribu, peu importe les conséquences de ses paroles, sur un sujet aussi important, Viviane ne pouvait se taire. Il ne s’agissait plus d’une simple remontrance et d’un défi à réaliser, il s’agissait de l’avenir d’Alexandrine, de sa vie !

- Je ne relèverai pas l’insulte à l’encontre de la Tribu et de moi-même dans tes propos, d’autres l’ont déjà fait avant moi. Mais il faut que tu comprennes certaines choses. Tout le monde sait ici, que j’ai eu une sœur à qui le rituel d’amnésie a été imposé. Elle désirait quitter la Tribu parce qu’elle n’était pas assez douée, et pour cette raison, quinze longues années de sa vie ont été perdues. Aujourd’hui, elle parvient à vivre avec cela uniquement parce que je suis encore là pour elle, et même si son passé lui échappe, elle a pu se construire un avenir.

Viviane s’arrêta un instant, reprenant sa respiration. Il fallait qu’Alexandrine comprenne à quel point l’heure était grave ! Elle avait une occasion en or de récupérer ce Livre des Lumières, celui qui faisait de la Tribu ce qu’elle était, et si Viviane ne cautionnait pas totalement les méthodes d’Europe, elle ne pouvait qu’adhérer à ses idées.

- Mais toi, tu ne pourras pas... Tu n’as pas la force de Cassandra, ne t’en déplaise. Tu n’auras pas une mère qui te déposera dans un couvent en laissant suffisamment d’argent pour que tu puisses te construire un avenir malgré tout. Puisque tu parles de ton père, n’oublie pas qu’il a sacrifié sa vie pour toi, ne rends pas ce sacrifice vain ! Tu dis que c’est une folie de vouloir récupérer ce Livre ?! Au contraire, c’est une occasion en or. Ce n’est pas sans risque, je le reconnais, mais dans la vie, il faut savoir prendre des risques ! Tout n’est pas toujours rose ou facile, il faut s’investir, qu’on le veuille ou non, pour survivre...

La colère se lisait sur les traits de la prêtresse. Qu’Alexandrine ose refuser une offre de se racheter en sachant que la punition d’Europe serait à la hauteur de sa trahison rendait Viviane folle de colère.

- Tu prétends être innocente dans cette histoire, mais je ne suis pas d’accord. Aucune de nous ne l’est ici, et pourtant, nous sommes toutes attachées à toi. Pour nous toutes ici, faire partie de la Tribu d’Olrun signifie quelque chose, alors nous avons voulu te donner une chance de te racheter, que tu ne nous aies pas trahies en vain. Et tu oses refuser ? Mais pour qui te prends-tu Alexandrine ?

Des mots si durs n’étaient pas habituels chez Viviane, et une part d’elle se rendait compte qu’elle exagérait. Mais comment ne pas réagir autrement alors que cette jeune fille intelligente venait de dire la chose la plus stupide de sa vie qui risquait de lui coûter son avenir, sa vie ! Viviane avait parlé d’un ton froid et détaché, mais la colère se sentait au travers d’elle, il était de certains choix qu’elle ne pouvait et ne pourrait jamais comprendre. Alexandrine était-elle consciente de la portée de ses propos ? Consciente qu’elle n’avait PAS le choix ?

Prêtresse

Une de leur servante avait vu partir Alexandrine, dans un premier temps elle ne s’était pas inquiétée, mais si elle avait fait sceller son cheval, c’était probablement pour partir une fois de plus en forêt. Au vue de ce qui s’était passé la dernière fois que sa fille était allée s’y promener, Elisabeth finit par laisser son angoisse prendre le dessus et partir elle aussi à cheval dans l’espoir de retrouver sa fille. Elle avait fait une promesse, qu’elle était arrivée à tenir jusqu’à maintenant. Pourtant, Alexandrine s’était blessée il y avait quelques jours de cela. La Vicomtesse savait qu’elle ne lui avait pas donné tous les détails, Alexandrine lui cachait quelque chose, mais elle n’avait pas voulu la brusquer, après tout elle avait le droit de vivre sa vie aussi !

Dans son esprit, l’idée qu’elle ait pu être attaquée avait tout de même fait son chemin et elle n’avait pas pu se résoudre à attendre dans leur appartement le retour de sa fille. Dès qu’elle était arrivée en forêt, elle s’était dirigée vers la clairière, habituellement lieux de rencontre du clan. Comment savait-elle que sa fille s’y trouvait ? Elle n’en avait pas la moindre idée, juste que ce lieu était protégé et que de là elle pourrait retrouver sa fille en usant de son art. Il fallait dire qu’Alexandrine connaissait probablement cet endroit bien mieux qu’elle et Elisabeth de ne voulait pas perdre de temps en vaines recherches – surtout que cela pourrait prendre des jours, autant dire que sa fille serait rentrée depuis longtemps avant qu’elle ne la retrouve.

Lorsqu’elle arriva elle entendit des voix s’élever, n’était-ce Marina qu’elle entendait crier ? S’approchant discrètement pour savoir de quoi il s’agissait, elle n’arrivait pas à croire ses yeux. Une réunion de Clan ? La Grande Prêtresse et à ses côtés les deux consœurs Prêtresse d’Elisabeth. Face à elles, Alexandrine… Si dans un premier temps la réaction d’Elisabeth avait été de vouloir intervenir, elle se ravisa lorsqu’elle entendit la voix de sa fille. Elle ne savait pas de quoi il retournait au juste, mais visiblement elle était quand même arrivée à inculquer quelques brides de bon sens à sa fille. Son argumentation était bonne et les faits correctement expliquer.

Malgré cela elle fut surprise de l’attitude de Viviane, comme sa fille elle ne compris le dessin de tout cela que lorsqu’Inès prit la parole. C’était pour cela qu’elle n’avait pas été conviée, pour ne pas se mettre en travers de leur plan, semblait-il ! Elle soupira, que pouvait-elle faire ? Non, ce n’était pas la bonne question, elle savait ce qu’elle allait faire… c’était plutôt la façon de le faire qui lui échappait encore. Tout à ces réflexions, Alexandrine se décida à répondre avant que sa mère n’intervienne. Elisabeth la comprenait et admirait la façon qu’elle avait eu de répondre à ses juges tout en gardant ses convictions. Cependant, la réponse des autres lui confirma qu’elle ne devait pas laisser sa fille reprendre la parole…

"Ça suffit ! Alexandrine, rentre immédiatement à nos appartements."

Alors qu’elle prononçait ces paroles, elle se mit entre sa fille et les membres éminents du Clan. Elle attendit ensuite que sa fille soit partie pour poursuivre. Personne n’objecta et Alexandrine pu partir, probablement parce que tous savait la décision que prendrait la Vicomtesse si on lui demandait de choisir entre sa famille et le Clan.

"Ais-je été déchue de mon rôle de Prêtresse du clan ?"

La question était bien sur rhétorique, elle connaissait fort bien la réponse.

"Dans ce cas, pourquoi ne suis-je pas à vos côtés ? Laissez-moi devinez, peut-être parce que cela concerne ma fille ?"

Son ton était calme et posé, mais affichait un brin de sarcasme qui laissait présager la tempête. Car là encore elle connaissait la réponse, nulle besoin aux autres de répondre.

"Et bien, je vois que vous avez échoué. Doutez-vous vraiment que malgré vos paroles, elle n’ait pas préféré avoir la mémoire effacée que d’aller contre des règles de vie qu’elle pense être celles de son père ?"

Là encore toutes connaissaient la réponse, du moins Elisabeth le pensait-elle. Elle s’adressait en particulier à Europe, la Prêtresse croyait connaître leur dirigeante et ce malgré les différentes fois où elle avait laissé des sœurs lorsqu’elles étaient en difficulté, tout avait commencé par Joan.

"Pourquoi m’avoir tenue à l’écart ? Qu’avez-vous gagné avec vos questions et vos exigences inquisitrices ?"

Elisabeth avait là choisi sciemment ses mots. Mais toutes ses questions n’étaient faites que pour que ses consœurs réfléchissent à ce qu’elles venaient de faire. Elisabeth aurait voulu être certaine qu’après cela, Viviane et Inès s’interrogent sur ce qui venait de se passer.

"Je vais rattraper vos erreurs et la convaincre de ramener le Livre, parce que nous toutes, je suis la seule à pouvoir le faire et cela a toujours été. Si vous m’aviez parlé dès le début de toute cette histoire, vous vous seriez évité ce déplacement inutile et la tâche aurait été plus facile."

Elisabeth disait vrai, elle allait réellement tenter de convaincre sa fille de le faire…C’était son devoir envers son Clan, toutefois, jamais elle n’enverrait sa fille dans ce qui était probablement un piège. Elle commençait déjà à réfléchir à un moyen de contourner la situation. Elle tourna les talons, en passant devant Viviane un merci silencieux se dessina sur ses lèvres à destination de la sorcière. Elle savait qu’elle avait cherché à aider Alexandrine et lui épargner ce qu’avait vécu sa famille des années auparavant. Les mots qu’elle avait prononcés avait été juste lorsqu’elle avait dit qu’Alexandrine ne devait jamais souhaiter une telle chose quoiqu’il arrive – et ce, même si la demoiselle n’était pas en mesure de comprendre ce que cela représentait pour Viviane. Ses yeux se tournèrent ensuite vers Marina, le regret pouvait se lire dans son regard, la jeune femme qui avait autrefois été son apprentie, pourquoi n’était-elle pas venue la trouver pour lui parler de tout cela ? Qu’importe, il fallait croire que la demoiselle n’avait pas autant de reconnaissance envers son aguerrie que celle-ci le pensait.

Et puis sans se retourner, ni attendre la moindre réponse, elle partit à son tour retrouver sa fille, elles avaient des choses à se dire. De toute façon qu'aurait pu répliquer les personnes présentent ? Si elles voulaient vraiment récupérer le livre de cette façon, Elisabeth était à présent la seule à pouvoir convaincre sa fille, on ne pouvait douter de cela.

[ Suivant : Mise au point entre Hasbauer]

Fugitive

Après avoir proposé une solution aussi extrême que celle du rituel d’amnésie, Europe s’attendait à être lâchée par ses deux Prêtresses à tout moment. A sa grande surprise cependant, Inès prit la parole juste après pour confirmer la sentence. Puis Viviane renchérit avec, en prime, une argumentation pertinente et personnelle. La dirigeante d’Olrun se tut, émue du soutien qu’on lui apportait alors même qu’elle était l’instigatrice d’un procès qui avait tout d’inquisitorial –une procédure hâtive, partiale, le genre contre lesquelles les Sorcières s’étaient toujours battues car elles en étaient constamment victimes. Cependant en cet instant, elle ne ressentait plus une once de culpabilité. A l’inverse, elle aurait sans doute été rongée par le remords si Alexandrine avait montré un tant soit peu d’humilité et de repentir… mais ce n’était pas le cas, la jeune frondeuse persistait dans ses convictions absurdes. Europe fut heureuse de voir que Viviane exprimait à haute voix ce qu’elle-même pensait sans oser le dire: frayer avec le Lys Noir était une façon bien ingrate de récompenser le sacrifice d’Adrien, et si celui-ci avait été encore en vie, il n’aurait probablement jamais toléré que sa fille ait de telles fréquentations, ne serait-ce que pour le danger encouru.

Alors même que la Grande Prêtresse retenait son souffle et qu’Alexandrine allait répondre, une voix retentit qui glaça les veines d’Europe lorsqu’elle la reconnut. Interdite, elle contempla ce qu’elle avait redouté durant tout ce temps: la venue d’Elisabeth. Sans doute fallait-il s’attendre à un déferlement colérique qui ne tarderait pas. Nul ne pouvait lui en vouloir: la réaction serait légitime à la vue de sa fille, jugée par ses propres consœurs sans même que celles-ci ne la mettent au courant. C’est pourquoi Europe se tut et serra les poings, voûtant mentalement les épaules en attendant que tombe sur elle la juste colère vengeresse, les cris et les « j’avais confiance en toi » fusant parmi les reproches.

Cependant, le discours qu’elle redoutait ne vint pas. Europe osa regarder Elisabeth dans les yeux; celle-ci venait de renvoyer sa fille et défiait l’assistance, les poings sur les hanches. La Grande Prêtresse n’essaya pas de retenir Alexandrine, ne voulant pas défier directement Elisabeth. Si elle le faisait, si jamais Elisabeth devait avoir à choisir entre son Clan et sa famille, la décision ne faisait aucun doute… et Europe était moins résolue que jamais à perdre l’une de ses Prêtresses. Elle était en outre impressionnée par la maîtrise de soi dont faisait preuve l’épouse –la veuve- d’Adrien. Car au lieu de hurler tour à tour sur les membres de son Clan, celle-ci restait calme, opposant des arguments pertinents, mettant Europe extrêmement mal à l’aise, même si celle-ci faisait de son mieux pour le cacher. Au moment où elle allait prendre la parole pour se justifier, répondant enfin aux questions d’Elisabeth auxquelles elle ne pouvait indéfiniment échapper, la Grande Prêtresse se ravisa, ne sachant que dire car elle n’avait aucune excuse. En fait, elle eut bon nez de ne pas parler, car Elisabeth enchaîna sur quelque chose de plus impressionnant encore: faisant totalement abstraction de la supercherie odieuse dont elle avait été l’objet, elle réaffirma sa loyauté envers Olrun et son intention de convaincre Alexandrine. Europe ne croyait pas vraiment en sa motivation à mettre sa fille au pied du mur, mais elle se garda bien du moindre commentaire, de peur que sa Prêtresse ne change d’avis et l’envoie paître. Elle attendit donc consciencieusement qu’Elisabeth soit partie à son tour avant de dissimuler son visage derrière ses mains. Seigneur… cette journée avait été un fiasco total.

"Rentrez toutes chez vous" finit-elle par marmonner aux autres, les congédiant d’un geste. "Merci d’être venues."

Elle fit volte-face et s’enfonça dans les bois pour rejoindre son cheval, remuant de sombres pensées.

[Suivant = Tout finit par des larmes]

Prêtresse

Après la rapide intervention d'Inès, ce fut Viviane qui reprit la parole, osant dire tout haut ce qu'elles pensaient toutes tout bas. Lorsqu'elle évoqua sa soeur Cassandra, Inès posa son regard sur elle. L'herboriste était bien plus jeune à l'époque, mais elle avait entendu parler de cette histoire. C'était vraiment triste, mais les membres d'Olrun se devaient de respecter les décisions de ceux qui voulaient partir, excepté lorsque cela pouvait mener la Tribu à sa perte...

La réponse d'Alexandrine était maintenant attendue. Pourtant, contre toute attente, une nouvelle voix s'éleva : celle de la troisième Prêtresse, mais surtout la mère de l'accusée : Elisabeth. Au son de cette voix, Inès ne put s'empêcher de sursauter avant de tourner la tête vers la nouvelle arrivante. d'après le silence qui suivit l'entrée d'Elisabeth, Inès comprit qu'Europe et Viviane, tout comme elle, redoutaient la colère d'une mère laissée de côté.

Pourtant, à la surprise générale, Elisabeth resta assez calme. Elle ordonna à sa fille de rentrer sur le champ. La jeune femme obéit bien vite, et personne n'osa la retenir. Puis la Prêtresse se lança dans un jeu de questions - réponses purement rhétorique avant d'accuser ce procès d'être inquisiteur. Le sang d'Inès ne fit qu'un tour à cette honteuse accusation, mais en son fort intérieur elle savait que sa soeur avait raison. Ce procès n'aurait sans doute pas du se passer ainsi. Mais avaient-elles eu le choix ? Les torts de sa fille avaient été grands, elle aurait tout de même pu perdre la Tribu !

Enfin, elle annonça sa décision de convaincre sa fille, et intérieurement, Inès se sentit soulagée. Son aînée en voudrait certainement à Europe, Viviane et elle pour cette action non concertée, mais la jeune femme espérait qu'elle finisse par comprendre que cela avait été fait pour le bien de la Tribu.

Sur ces entrefaites, Elisabeth partit à son tour, sans que personne n'eut répondu à ses paroles. Le silence revint, lourd, pesant, puis Inès vit du coin de l'oeil la Grande Prêtresse placer sa tête entre ses mains, comme désespérée. La jeune femme ne dit rien, un peu honteuse d'elle-même, et lorsqu'Europe leur donna congé, elle partit sans mot dire, se contentant d'un hochement de tête comme salut à la cantonade.
Une fois chez elle, elle se fit une infusion d'écorce de saule, la tournure du procès lui ayant donné la migraine, puis elle se mit au lit après avoir rapidement avalé un bol de bouillon.

Demain serait un nouveau jour, et elle espérait que les choses se passeraient mieux, à l'avenir, dans la Tribu d'Olrun...